« Casquette noire sur une boule à zéro, 40 ans fâchés, dents noires, cœur noir, il roule un joint et regarde son fils gêner quelqu’un et il s’en fout »

Share

A l’occasion du Goût de M Festival, les 23 et 24 mars, la romancière Aude Walker animera un atelier d’écriture. Renseignements et billeterie sur Legoutdemfestival.lemonde.fr

Le décalage horaire a déréglé sa machine corporelle. Complètement déphasé, il ne sait pas où il habite, quand il faut boire, dormir ou manger. Dans le doute, son corps, lui, semble avoir décidé de ne plus jamais dormir. La salle des machines qui envoie nuit et jour. Il est 6 heures. Soumis à cette énergie nerveuse de surface, celle des survivants, entre extase et malaise vagal, il n’a pas fermé l’œil de la nuit.

Des heures à tourner dans ce lit inconnu du Airbnb parisien loué par ses parents. Les draps sentent les huiles essentielles. Après, il voit le positif : pas de sommeil, pas de cauchemars. Sans weed, il en fait des terrifiants. Et, comme il n’a jamais réussi à trouver de quoi fumer depuis leur arrivée à Paris, c’est peut-être mieux, c’est sûrement mieux.

La veille, à quelques mètres de l’appartement, il a identifié un skatepark entre deux grandes rues. Les rampes sont basses, il est petit, mais ça fera l’affaire. Il veut passer le kickflip, ça fait des mois qu’il s’entraîne, il sait qu’il n’en est pas loin. Il s’habille vite fait, un peu d’eau froide sur le visage, prend sa planche, veille à ne pas réveiller ses parents et sort. Rues désertes, vent frais, musique dans les oreilles. Comme guidé par sa planche sous ses pieds, il retrouve le lieu sans le moindre mal.

A sa grande surprise, il y a du monde. Un petit garçon, à l’énergie très up, avec une doudoune marron couverte de canards colverts en plein vol, fait des allers-retours en draisienne en plein milieu. Il roule vitesse boule de flipper. Il essaye d’entrer plusieurs fois, direction les rampes, droite, gauche, mais impossible. Avec ses mains, il fait des petits gestes timides pour lui signifier que ce serait super qu’il dégage, mais en vain.

Odeur de weed

Le père du garçon est assis sur un banc, pas loin. Casquette noire sur une boule à zéro, 40 ans fâchés, dents noires, cœur noir, il roule un joint et regarde son fils gêner quelqu’un et il s’en fout. Il roule et sourit, même, ironique et énervé. Tant pis, il finit par s’élancer vers la rampe. On verra bien, le petit est agile, il se dégagera quand il faut. Il balance son ollie. Quand la planche est en l’air, il fait glisser son pied vers l’avant et, une fois qu’il est au bout, donne un coup de pied franc. Et, sur la redescente, il voit le petit entrer dans le champ. Il flippe, s’éjecte du cadre, la planche chute, le nez de sa planche frôle le crâne du petit. Coup de vent ; ses cheveux raides brillants et bruns se balancent au ralenti. Il tombe sur le dos, près de sa planche.

Il vous reste 45% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Source du contenu: www.lemonde.fr

Table of contents

Dernières nouvelles

Dernières nouvelles