Une quarantaine de Petits États insulaires en développement sont réunis cette semaine à Antigua-et-Barbuda (Caraïbes) pour une conférence internationale sous l’égide de l’ONU. Après l’obtention historique d’un fonds pertes et dommages lors de la dernière conférence climat, ces micro-nations en première ligne du changement climatique veulent désormais accélérer son financement et alléger le fardeau de la dette.
C’est dans une ville menacée de submersion, Saint-John’s, capitale d’Antigua-et-Barbuda, que les représentants des pays membres de l’Alliance des Petits États insulaires (Aosis), de l’ONU, de pays observateurs, mais aussi de la société civile et du monde financier public et privé ont convergé depuis l’ensemble de la sous-région parsemée d’îles, mais aussi depuis le Pacifique, l’océan Indien et les mers du sud-est asiatique. À mi-parcours entre la COP28 et la COP29, cette quatrième conférence internationale onusienne (SIDS4), qui a lieu tous les dix ans seulement, a pour mission de planifier une feuille de route de la résilience économique et du développement durable dans le contexte de changement climatique extrêmement périlleux.
Des catastrophes climatiques en série et des économies exsangues
Ces 39 Petits insulaires en développement (PEID ou SIDS en anglais), qui comptent l’équivalent de la population française disséminée sur leurs atolls, cumulent les faiblesses. Climatiques : ils sont sur la route des typhons, subissent la montée du niveau de l’océan, la diminution des ressources marines, mais aussi, de manière contre-intuitive, les sécheresses agricoles et le manque d’eau douce. Économiques : avec peu de ressources propres, dépourvues de matières premières à commercialiser ou transformer, ces territoires sont dépendants des importations.
À l’été 2017, Irma, dixième cyclone de la saison dont la superficie égale celle de la France métropolitaine, ravage une zone s’étirant d’Antigua-et-Barbuda à la Floride et cause près de cent milliards de dollars à l’ensemble des territoires traversés ; une semaine plus tard, l’ouragan Maria, quatorzième cyclone, achève l’œuvre du précédent : en quelques heures, il prend plus de 3 000 vies à Porto Rico et 225% du PIB de la Dominique.
Comment, face à ces cataclysmes qui se succèdent comme les leitmotivs d’une frise grecque, parler sérieusement d’objectifs de développement durable (eau, éducation, services de santé, énergies renouvelables…), jargon onusien qui prend tout son sens s’agissant de territoires aussi fragiles et limités ? Ajoutés aux conséquences économiques du Covid et de la guerre en Ukraine, les îles, jadis bien portantes pour certaines, ont le souffle court.
Le monde « ne peut pas laisser les Petits États insulaires en développement se noyer dans des crises qu’ils n’ont pas créées, cela aurait des conséquences catastrophiques pour le monde entier », a alerté dans un communiqué Fatumanava-o-Upolu III Dr Pa’olelei Luteru, ambassadeur des Samoa à l’ONU et président en exercice de l’Aosis.
Climate change is an existential crisis for the entire human family, but small island developing countries are on the front lines of the crisis.
The international community has to support them as they respond to climate challenges & global economic shocks. pic.twitter.com/KRPCD5lSeP
— António Guterres (@antonioguterres) May 27, 2024
Pour « tracer la voie vers une prospérité résiliente », deux urgences : accélérer l’action climatique mondiale et assurer l’accès à un financement structurel et pérenne pour ces pays. C’est évidemment ce deuxième point qui suscite les attentes maximales. D’autant que dans six mois, le monde sera réuni à Bakou, en Azerbaïdjan, pour une 29e conférence climat où la finance climatique sera en première page de l’ordre du jour.
Le financement du combat contre le changement climatique recouvre un large panel d’aspects, en particulier pour ces États insulaires : l’atténuation – comment limiter les émissions de gaz à effet de serre, c’est le volet le plus financé ; l’adaptation (comment faire face) – qui coûterait selon le PNUD entre 4,7 et 7,3 milliards de dollars par an pour ces 39 pays ; et les pertes et dommages, une question astringente dans les négociations annuelles puisqu’il s’agit d’aider les pays les plus vulnérables à financer les réparations. Un fonds, demandé depuis des lustres, a été créé à la COP28. Reste à remplir ses caisses pour le rendre réellement fonctionnel.
L’exemple maldivien
Trois jours avant l’ouverture de la SIDS4, le président des Maldives a demandé un financement international pour lutter contre la montée des eaux qui menace cet archipel de l’océan Indien. « Les Maldives ne sont responsables que de 0,003% des émissions mondiales, mais elles sont l’un des premiers pays à subir les conséquences existentielles de la crise climatique. Les nations plus riches ont une responsabilité morale envers des communautés comme la nôtre », a écrit le président Mohamed Muizzu dans le journal britannique The Guardian.
Mais il estime que son pays est injustement exclu des mesures de soutien dont bénéficient les pays les moins avancés. Comme les Maldives, la plupart de ces territoires sont en effet classés au moins comme pays à revenus intermédiaires et sont ainsi exclus de l’aide internationale et des financements à taux préférentiels des banques de développement.
Selon le Fonds monétaire international (FMI), les Maldives ont un PIB par habitant plus élevé que le Chili, le Mexique, la Malaisie ou la Chine, mais les méthodes statistiques employées font passer les PEID pour « plus riches que nous ne le sommes vraiment ». « Grâce à la bonne santé de l’industrie touristique des Maldives, nous sommes classés parmi les économies émergentes et sommes donc exclus des financements moins chers réservés aux pays aux revenus les plus faibles », a regretté le dirigeant. Or, son pays a besoin d’environ 500 millions de dollars pour atténuer les effets du changement climatique. L’économie locale, dépendante du tourisme, n’est pas en mesure de réunir ces fonds toute seule.
« À chaque catastrophe majeure, la dette extérieure privée [celle des particuliers, des entreprises… NDLR] des PEID a tendance à augmenter, pointe Jorge Moreira da Silva, directeur de l’agence de l’ONU dédiée à la mise en œuvre des projets. Entre 2016 et 2020, les PEID ont payé au titre du service de leur dette 18 fois plus que ce qu’ils ont reçu au titre du financement climatique. » L’ONU estime qu’ils vont dépenser, en 2024, 15,9% de leurs revenus juste pour rembourser les intérêts de cette dette. Celle-ci, pour l’ensemble des PEID, s’élève à environ 82 milliards de dollars, selon un chiffre communiqué par l’Aosis.
Éponger les dettes, abonder le Fonds pertes et dommages
« Les Petits États insulaires ont besoin d’être indemnisés davantage par le biais du Fonds pertes et dommages pour affronter les effets du climat. Ils doivent aussi pouvoir accéder à des emprunts à plus long terme et à moindre coût auprès des banques de développement pour investir dans la résilience », commente pour RFI l’économiste barbadien Avinash Persaud, spécialiste reconnu de la dette climatique, désormais conseiller du président à la Banque inter-américaine de développement.
À lire aussiFinance climatique: qui est Mia Amor Mottley, chantre d’un nouvel ordre financier mondial?
Mais, côté société civile, certains acteurs grincent des dents. Dans une note publiée sur le blog de la Coalition Pertes et Dommages, l’experte en finance climatique Sindra Sharma pointe plusieurs failles au projet de feuille de route. D’abord, elle « devrait spécifier que les pertes et préjudices sont le troisième pilier de l’action climatique et devrait être mentionné comme tel dans le NCQG ». Le Nouvel objectif collectif quantifié (NCQG) sur le financement du climat doit être adopté cette année à la COP29. Ce mécanisme est destiné à actualiser l’objectif, décidé en 2009, de réunir 100 milliards de dollars par an par les pays riches. Non seulement la somme n’est toujours pas réunie, mais elle n’est plus en phase avec les besoins générés par l’accélération du changement climatique. De plafond à atteindre, cet objectif deviendrait donc un plancher dans le cadre du NCGQ. Mais, même pour la Convention Climat de l’ONU, les besoins réels se chiffrent désormais en milliers de milliards, un ordre de grandeur que l’on ne retrouve pas dans le document en discussion à Saint-John’s. « Les États doivent pousser en faveur d’un NCQG qui reflètent leurs besoins réels », suggère Sindra Sharma.
Sur la question de la dette, Sindra Sharma estime que le texte « accorde une importance disproportionnée aux instruments fondés sur la dette et au financement privé » au détriment du fonds pertes et dommage qui serait alimenté en dons émanant des pays riches. « Bien que le Fonds pour les pertes et dommages soit mentionné, le texte ne souligne pas le besoin crucial d’un financement basé sur des subventions [sans intérêt, NDLR] considérablement accru. »
Une position qui dispose d’un porte-voix de premier plan, en la personne d’António Guterres. En ouverture de la conférence, le secrétaire général des Nations unies s’est fendu d’une critique acerbe dont il est coutumier, en dénonçant une situation « obscène » : les Petits États insulaires en développement paient « la soif de profits » des industries fossiles et la « compétition » entre grandes économies.
En dehors des questions de finance, le Plan d’action en discussion jusqu’à jeudi soir fait bonne place au développement des énergies renouvelables et encourage « l’économie bleue » (la pêche durable entre autres) dans des archipels aux territoires terrestres très petits, mais qui comptent 19% des Zones économiques exclusives (espace maritime sur lequel un État exerce sa souveraineté) de la planète. Sans oublier la promotion d’un tourisme plus responsable, pour préserver une biodiversité exceptionnelle, notamment des coraux menacés et essentiels pour le climat et la lutte contre l’élévation des eaux.
Source du contenu: www.rfi.fr