Il y a 80 ans, les troupes alliées débarquaient sur les côtes normandes pour libérer la France du régime nazi. Les cérémonies étalées sur trois jours connaissent leur point d’orgue jeudi 6 juin avec la présence de plusieurs dizaines de chefs d’État et de gouvernement, où l’absence de la Russie est déjà un événement en soi. Michel Duclos, conseiller spécial à l’Institut Montaigne et auteur de Diplomatie française (éd. Alpha) décrypte la situation.
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RFI : Que représentent ces cérémonies d’anniversaire du Débarquement pour les États qui y participent ?
Michel Duclos : Je dirais qu’il y a un caractère quasi anthropologique dans ces cérémonies. C’est une sorte de rite tribal qui rappelle en quelque sorte les fondamentaux qui réunissent le monde libre. C’est une célébration de la solidarité entre les deux rives de l’Atlantique à un moment où celle-ci ne va plus de soi. D’ailleurs, ça n’est jamais allé complètement de soi. Il faut se souvenir que lorsque de Gaulle était président de la République, il considérait que la France ne devait pas trop célébrer ses libérateurs puisqu’elle devait compter sur elle-même.
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Le président Mitterrand, lui, voulait souligner que les Français avaient gommé le ressentiment et voulaient célébrer leur reconnaissance vis-à-vis des libérateurs. À un certain moment, on a rajouté les Russes parce que précisément, le monde ayant changé, le rite devait prendre une nouvelle dimension en incluant ceux qui, d’une autre manière, avaient contribué à la libération de la France.
De ce point de vue, l’absence de la Russie cette année est significative. Pourquoi la France a-t-elle fini par renoncer à inviter ses diplomates ?
Probablement à cause des tensions qui sont de plus en plus fortes en ce moment (Moscou a menacé directement les soldats français qui pourraient être envoyés comme instructeurs en Ukraine, NDLR). Le président de la République est allé de plus en plus loin dans le soutien aux Ukrainiens. Et maintenant, la Russie désigne nommément la France comme le principal adversaire en Europe. Donc ça devenait quand même plus difficile de faire mine d’avoir des points communs avec la Russie d’aujourd’hui.
« Le moment se prêtait mal à un geste vis-à-vis de Moscou »
L’approche française qui consistait à encourager le dialogue avec la Russie n’est plus de mise ?
Il ne faut pas être catégorique. Je ne crois pas que les dirigeants français ont complètement tourné la page et renoncé à toute forme de dialogue avec Moscou. Ça peut changer, mais le moment se prêtait mal à un geste vis-à-vis de Moscou pour ces cérémonies en particulier. Ce qui laissait la place à l’Ukraine. Une façon de faire dialoguer l’événement du 6 juin 1944 avec l’actualité.
Vous tirez un bilan très négatif du « Format Normandie » (initiative de dialogue entre la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine pour résoudre le conflit et rendue caduque par l’invasion russe en 2022).
L’initiative était louable, mais je me demande si l’erreur n’a pas été de persister aussi longtemps et de maintenir un format à quatre au lieu d’inclure l’UE, la Pologne ou même le Royaume-Uni. Ça n’a pas rendu service à l’Europe dans son ensemble, puisque Poutine a utilisé ce format. Il a exploité cette négociation pour avancer ses pions, diviser les Européens, faire en sorte que pendant qu’on négociait, on ne s’occupait pas de se réarmer.
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