ARTE – MARDI 20 FÉVRIER À 22 H 30 – DOCUMENTAIRE
Dans un pays en guerre, il y a les atrocités des combats sur le front. Mais il y a aussi des zones d’ombre à l’arrière, des terrains glissants où se mêlent actes de trahison, délations, règlements de comptes. Où apparaît la figure honnie du « collabo », pour reprendre le terme français datant de l’Occupation.
Depuis deux ans, de Kiev au Donbass, la hantise du saboteur, du traître, est une réalité palpable au quotidien. Le pays agressé n’échappe pas à cette autre bataille, menée contre les ennemis de l’intérieur. Dès mars 2022, quelques jours seulement après l’invasion russe, une loi contre la collaboration, voulue par le président Zelensky, a été adoptée – dans une certaine précipitation.
Certains de ses articles seraient en contradiction avec les conventions internationales ? Tant pis, le temps presse et la justice doit passer. Sont dans le viseur les informateurs, ceux qui ont fourni aux Russes des indications sur des mouvements de troupes ukrainiennes, les femmes qui ont couché avec l’ennemi. Tout comme celles et ceux qui, dans les villes occupées, sont restés en place à l’école, à la mairie, dans les administrations. Ne pas avoir voulu abandonner ses élèves, par exemple, serait un signe de trahison ? A la justice de faire son travail.
Entre esprit de vengeance et Etat de droit, l’équilibre est difficile à trouver. Arrestations sommaires, tortures, les exactions existent et la caméra ne le cache pas. Mais face à l’opinion internationale, l’Ukraine se fait un devoir de prouver qu’elle est bien un Etat de droit. Elle veille donc à ce que les droits des accusés soient, la plupart du temps, respectés.
Surveillance très stricte
Documentariste renommé (prix Albert-Londres en 2007), Gwenlaouen Le Gouil connaît bien l’Ukraine. En 2015, son Donbass : voyage au pays des séparatistes n’était pas passé inaperçu. Cette fois, il a suivi sur le terrain, proche de la ligne de front et de la frontière russe, des agents du service de renseignement et de sécurité ukrainien (SBU) en mission de « filtration ».
Outre la surveillance très stricte des réseaux sociaux et du contenu des téléphones portables, ces agents traquent les « collabos » jusque dans les petits villages. Au fil des rencontres, entre interrogatoires et témoignages poignants, se dessinent des portraits qui permettent de mieux cerner les drames d’un pays en guerre. Galina, âgée d’une quarantaine d’années et habitante de Boutcha, est-elle une traîtresse, comme l’affirment ses voisins, coupable d’avoir couché avec des soldats russes ? « Pourquoi ont-ils raconté ces horreurs sur moi ?, demande-t-elle. Les Russes n’ont fait que me violer et manger… »
Gwenlaouen Le Gouil multiplie les rencontres. Un juge au tribunal d’Irpine (« Il y a d’un côté la loi, de l’autre la réalité de la guerre »), ou cet avocat spécialisé dans la défense des présumés « collabos » et qui raconte la nécessité de son travail dans un pays où le désir de vengeance est palpable. Une mission qui n’est pas sans danger pour l’avocat, dont la voiture a été piégée.
« Poursuivre les collaborateurs, c’est aussi envoyer un message à ceux qui vivent encore sous occupation russe. C’est leur dire : “Regardez, nous n’abandonnons pas, l’Ukraine reprendra ses territoires. Et regardez, nous avons les moyens que justice soit faite” », résume une responsable politique.
Collabos ! L’Ukraine en guerre face à ses traîtres, documentaire de Gwenlaouen Le Gouil (Fr., 2023, 75 min). Disponible à la demande sur Arte.tv à partir du 20 février.
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