Malgré les scandales et une image démodée, le plus vieux des réseaux sociaux en ligne continue de gagner des utilisateurs à travers le monde.
Ringard, Facebook ? « De ouf », lance Clémence Giondini, 22 ans, qui a quand même son compte sur le réseau social. Messenger est la messagerie privilégiée pour sa vie étudiante, explique-t-elle, et nécessite encore de se connecter via Facebook. En revanche, elle a enlevé l’appli de son téléphone et ne fait de la plateforme qu’un usage « ciblé » via les groupes : « pour chercher un billet de concert à vendre ou pour suivre les bons plans matériels partagés par mon club de sport par exemple ».
En dépit de cette image « has been » qui lui colle à la peau depuis quelques années déjà, vingt ans après sa création dans une chambre d’étudiant d’Harvard, le réseau de Mark Zuckerberg affiche plus de trois milliards d’utilisateurs mensuels actifs, selon Statistica.
D’après une étude du Pew Research Center publiée fin janvier, 68% des Américains déclarent toujours utiliser Facebook, contre 47% Instagram. Au niveau mondial, si le réseau est vieillissant dans les régions où il a émergé, aux États-Unis et en Europe du Nord, il est toujours très populaire chez les jeunes en Asie du Sud-Est et en Afrique.
« Pour le boulot », « pour se souvenir des dates d’anniversaire », « pour suivre les infos sur le groupe de ma ville… » Il reste donc quelques raisons de rester sur Facebook. Mais on est loin de l’effervescence des débuts quand Facebook révolutionnait nos modes de communication, que Mark Zuckerberg affirmait dur comme fer « qu’un monde plus ouvert et plus connecté est un monde meilleur » et que Barack Obama était élu après une active campagne en ligne, sur Facebook en particulier.
Du catalyseur des « printemps arabes »…
De ce point de vue là, le réseau social a connu son heure de gloire en 2011 avec les printemps arabes. Facebook se retrouve alors, comme Twitter, au cœur des mobilisations en Égypte et en Tunisie d’abord, puis en Libye et en Syrie, au point que certains observateurs parlent de « révolution Facebook ». « C’était le prolongement en quelque sorte de la révolution des blogs, sauf que pour utiliser un blog il fallait être assez à l’aise d’un point de vue technique, se souvient Julien Le Bot, journaliste et auteur du livre Dans la tête de Mark Zuckerberg*. Le grand atout de Facebook pour accélérer la connexion des individus, c’était sa facilité d’usage et son côté caisse de résonance. » Ainsi fleurissait le tag « Merci Facebook », après la chute du président Ben Ali en Tunisie, sur l’emblématique Avenue Bourguiba. Dans la foulée, le Mouvement des Indignés en Europe et Occupy aux États-Unis ensuite, ont aussi largement utilisé la plateforme pour diffuser des informations et coordonner des actions.
Mais si Facebook s’est avéré un outil puissant pour mobiliser rapidement, amplifier la colère et organiser les protestations, son « rôle clé » dans la chute des régimes autoritaires a été jugé exagéré par beaucoup d’observateurs, qui rappelaient notamment que les populations n’avaient pas forcément accès à internet. « Facebook n’était ni nécessaire ni suffisant pour déclencher ces événements », estimait d’ailleurs en 2012 le PDG et cofondateur du site, Mark Zuckerberg.
Le réseau apparaît en tout cas comme un espace de liberté au service des forces progressistes. En termes d’usage, il devient aussi un important vecteur d’actualité. « Après, quand on s’est rendu compte dans un deuxième temps que des groupes politiques aux objectifs opposés étaient également capables de s’emparer de ces plateformes-là, pouvaient s’organiser pour polariser la société ou créer de l’infox, on est passé de l’euphorie et de la candeur au désenchantement et à la colère », analyse Julien Le Bot.
… à l’arme de désinformation
La face sombre de Facebook se révèle avec l’élection de Donald Trump en 2016 : sa puissance et les millions de données personnelles qu’il concentre entre ses mains en font un dangereux outil au service de la désinformation. Le réseau est accusé d’avoir permis à la Russie d’influer sur le scrutin. Des centaines de faux profils russes ont acheté des publicités pour accroître les tensions en amont de la présidentielle américaine. En 2018, le scandale « Cambridge Analytica », une société britannique qui a récupéré, à leur insu, les données de 50 millions d’utilisateurs de Facebook pour favoriser la victoire de Trump, achève de révéler les failles du réseau.
Après ces révélations, Mark Zuckerberg promet devant le Congrès américain de mieux combattre la désinformation et les discours de haine. Sous pression, Facebook serre la vis. Au fil des années et de sa popularité croissante, le réseau a développé de nouvelles fonctionnalités, passant de la possibilité de poster de simples statuts en texte au départ, aux photos, vidéos et contenus en direct, jusqu’aux stories inspirées d’Instagram, dont la maison mère, Meta, est également propriétaire. « Aujourd’hui, explique Julien Le Bot, tout ce qui est lié à de l’information pure et dure a tendance à être moins bien référencé par l’algorithme Facebook », qui préfère favoriser les publications de nature personnelle des utilisateurs.
Des groupes fédérateurs
Si le réseau social n’est plus ce qu’il était en termes d’usages du quotidien, il reste central, assure Emmanuelle Patry, fondatrice de Social Media Lab, qui forme des professionnels de la communication aux réseaux sociaux. « Contrairement à ce qu’on pourrait penser, même si la popularité de Facebook est en baisse parmi les jeunes générations, il est toujours très utilisé. C’est d’ailleurs une plateforme publicitaire très importante avec une cible plus âgée qu’Instagram par exemple, qui a du pouvoir d’achat, commente l’experte. C’est très puissant en termes de publicité. Quand les annonceurs, les entreprises font de la publicité sur le système Meta (WhatsApp, Instagram, Facebook), ils utilisent l’écosystème de Facebook en priorité et les publicités sont multidiffusées sur l’ensemble des plateformes. »
« Après, ce qui est ultra dynamique, ce sont les groupes, locaux ou par centres d’intérêt. J’ai moi-même trouvé mon appartement par un groupe Facebook », ajoute la jeune femme. Et c’est une constante dans l’histoire du réseau social : s’il a perdu la légèreté de ses débuts, s’il n’est plus le medium qu’il a été, Facebook reste un lieu quasi incontournable d’organisation de la contestation.
Né en 2017 et poussé fortement par l’algorithme de la plateforme, c’est au sein de ces groupes Facebook que le mouvement social des « gilets jaunes » s’est structuré en France, l’année suivante. À cette époque, des utilisateurs lambda vont commencer à utiliser ces agoras virtuelles pour faire entendre leurs revendications en se filmant notamment face caméra. Émergent ainsi, hors de toutes organisations syndicales ou politiques, des figures comme Fly Rider. Ces derniers jours encore, les groupes Facebook ont servi à organiser la mobilisation des agriculteurs, et à relayer leurs différentes actions.
Emmanuelle Patry relève aussi des formes « d’usages forcés » quand un utilisateur d’Instagram poste une story et se voit proposer de la voir publier en même temps sur Facebook. Une pratique qui montre que Mark Zuckerberg continue de pousser Facebook. Ce bon vieux réseau à l’image démodée a « presque un côté rassurant », résume la spécialiste, qui note qu’il est d’ailleurs particulièrement apprécié par les entreprises institutionnelles comme les banques, les assurances.
Une puissante régie publicitaire
C’est ce qui explique encore sans doute que Facebook résiste encore. Vingt ans plus tard, le réseau social Facebook reste le « produit vache à lait » de Meta, indique Marc Bidan, professeur des universités en management des systèmes d’information à l’université de Nantes. « Le business modèle de Meta, c’est la publicité, rappelle le spécialiste. Chacune de ses filières est là pour apporter sa pierre à un seul édifice : la collecte de données pour les revendre à des entreprises. Meta se moque donc du caractère ringard du réseau Facebook puisqu’il lui permet de capter toute une population de quadra, quinqa et sexa qui ne seraient pas sur Instagram. Ainsi, le réseau continue de rapporter beaucoup d’argent. Sa force, c’est la masse de ses utilisateurs. »
À la tête d’une petite association, Élisa Richard se voit comme une pionnière du réseau social en France, qu’elle a découvert étudiante, grâce à des amis américains. « J’étais dessus avant que ça arrive en Europe, du coup, je n’avais qu’une poignée d’amis. » La tout juste quadragénaire se rappelle de son enthousiasme de l’époque. « Je m’amusais à retrouver des gens, je stalkais [espionner] leurs photos, on se découvrait des amis communs, on postait tout et surtout des photos de fêtes. » Pour la jeune femme, c’était aussi un lieu d’expression militante. « J’en ai poussé des coups de gueule ! » se remémore-t-elle un peu honteuse. Presque 20 ans après, l’enthousiasme est retombé. Comme beaucoup, elle n’est plus vraiment active sur le réseau. Alors pourquoi ne pas supprimer son compte ? « J’y ai toutes mes données ! », se défend-elle.
Car c’est bien là que réside la force de Facebook. Si beaucoup d’utilisateurs confessent ne plus utiliser l’application, pas question de se désinscrire pour autant. Le réseau social est devenu constitutif de notre identité numérique. « On y a mis tellement de données, on y a tous nos amis, que même si on est moins actif, même si on est méfiant, on n’arrive pas complètement à s’en détacher, développe Julien Le Bot. Avant de conclure : quand on parvient à ce que les gens n’arrivent pas à supprimer leur compte alors que ce n’est plus cool et malgré les critiques, c’est qu’en termes d’influence, on est encore quelqu’un. »
*Dans la tête de Mark Zuckerberg, Julien Le Bot, éditions Actes Sud.
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