« Saravah », de Pierre Barouh, sublime document sur la musique brésilienne

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L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

Il y a des films qui font un bien fou, comme une photo ressurgie du passé qui réussit à ne rien figer, renvoyant juste quelques éclats d’un moment parfait. Ces instants magiques, en compagnie de musiciens et de chanteurs brésiliens, Pierre Barouh (1934-2016) les a captés dans Saravah (1969), son premier long-métrage tourné sur le vif pendant le carnaval de Rio, à l’hiver 1969. Pendant une cinquantaine d’années, le film a connu des diffusions « sauvages » et n’est pas sorti en salle, avant d’être restauré tout récemment.

Le titre renvoie aussi au label de musique du même nom que le chanteur et parolier Barouh avait créé, en 1966, faisant découvrir Jacques Higelin, Brigitte Fontaine… Ajoutons qu’il est l’auteur de l’incontournable Chabadabada (sur une musique de Francis Lai) qui immortalisa le film Un homme et une femme (1966), de Claude Lelouch, et de La Bicyclette, interprétée en 1968 par Yves Montand.

Le premier plan du film nous embrase, avec ces images de danseurs de samba ivres de bonheur, montées sur l’ultramélancolique chanson Samba Saravah, écrite par le poète et diplomate Vinicius de Moraes, dont Pierre Barouh avait fait une adaptation française, avec Baden Powell à la guitare. Une manière de montrer que le carnaval fait office de soupape pour la société brésilienne, alors sous l’étau de la dictature depuis 1964. En voix off, Pierre Barouh chante tout bas et nous dit quelques mots des racines de la samba : « On m’a dit qu’elle venait de Bahia/ qu’elle doit son rythme et sa poésie/ à des siècles de danses et de douleurs… »

Document brut

Sans transition, dans le film, on découvre sur une terrasse Pierre Barouh, visage de jeune premier, évoquant avec le guitariste Baden Powell (1937-2000) les origines africaines de la musique brésilienne. Tel l’envoûtant Canto de Yemanja, que le fabuleux musicien se met à jouer illico. Et tout le film se découvre ainsi, dans l’improvisation, en compagnie de légendes naissantes (Maria Bethânia, Paulinho da Viola) et d’artistes déjà mythiques, tels le flûtiste et saxophoniste Pixinguinha (1897-1973) et le chanteur et compositeur Joao da Baiana (1887-1974). Il n’y a qu’à se laisser porter, dans cette œuvre qui relève plus du document brut que du documentaire.

La caméra se glisse entre les instruments, relève quelques détails, l’élégance de Joao da Baiana, le pantalon en lin, immaculé, tombant (en mesure) sur les chaussures bicolores, et son agilité à gratter le rythme sur une assiette avec un couteau… à table ! Voici Pierre Barouh, torse nu, comme le guitariste, compositeur et chanteur Paulinho da Viola : voilà le Français assis dans un restaurant donnant sur une plage avec tous ses amis. En face de lui, le cinéaste a la plus belle vue, la chanteuse Maria Bethânia, robe bustier rouge et bracelet de coquillages. Quand elle chante, ses mains encadrent son visage, pareilles à deux petites lumières éclairant les yeux…

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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