« Cela ne ressemble à rien. » Le jugement est abrupt, mais énoncé sur un ton admiratif. Emylou, jeune serveuse au restaurant-bar à cocktails Origins, au cœur de Cognac, évoque le marc de raisin, des coquilles d’huître, aussi, pour décrire les arômes d’un alcool conçu par Miko Abouaf – Michael, de son vrai prénom. Cet ovni appartient à la collection Fractal, soit des compositions très personnelles – des « freestyle spirits », comme il les baptise – proposées ici à la dégustation. Le nom de la cuvée en question : La Perle. Elle est composée sur une base de marc et de lie de sauvignon. Le magicien qui concocte ces potions habite dans la grande maison située en face du restaurant. Un rez-de-chaussée partagé entre un minichai, une pièce qui tient lieu de laboratoire, une bibliothèque impressionnante où flacons et bouteilles, par centaines, remplacent les livres.
Ne ressembler à personne, être intensément original, rien ne peut faire plus plaisir à cet homme de 38 ans, fils d’un père franco-tunisien et d’une mère australienne, qui est né et a vécu jusqu’à ses 21 ans à Sydney. Sa mère, Nici Abouaf, y réside toujours. C’est elle qui lui a transmis, très tôt, le virus des alcools, des plantes et des arômes. « On avait un alambic fabriqué maison, raconte celle qui réalisait des liqueurs de fruits sous forme d’infusion. Miko avait à peine 14 ans quand il a commencé à s’en servir. C’était plutôt des expériences de chimie au départ. On le laissait faire, sinon il serait parti expérimenter dans la brousse, ce qui aurait été plus dangereux. » Michel, le père, participe aussi à l’émergence de cette passion précoce, lui qui a vécu à La Soukra, au nord de Tunis, juste à côté de la distillerie de la boukha Bokobsa, une eau-de-vie de figue. « J’ai grandi avec le goût de la boukha dans la bouche », se souvient Miko.
Se sentant « plus européen qu’australien », le jeune homme rejoint Londres dans le but de « faire fortune » pour « arrêter de travailler à 30 ans et monter [sa] distillerie ». Le scénario ne se réalise pas exactement comme prévu : il suit un bachelor finance, qu’il arrête à 23 ans, puis se réoriente vers un master de psychologie sociale. En parallèle, Miko Abouaf entretient la flamme spiritueuse en distillant de la pomme dans sa chambre à l’aide d’un mini-alambic. « C’était à peine comestible », se souvient-il. Après quelques mois en Ethiopie avec une ONG, il s’installe en France avec pour objectif d’apprendre vraiment l’art de la distillation.
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