Ce taiseux qui garde sa verve pour ses parfums a bien du mal à cacher sa fierté en pénétrant dans la boutique de poche de la rue Marbeuf (Paris 8e). Atmosphère tout en blancheur céleste tamisée à la feuille d’or. C’est un événement dans ce petit milieu : Dominique Ropion, l’un des plus grands parfumeurs actuels, décoré en 2012 de la médaille de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres par Frédéric Mitterrand, alors ministre de la culture, lance sa propre marque, Aphôrismes, en référence à son livre Aphorismes d’un parfumeur (Nez éditions, 2018). Ils ne sont qu’une poignée de nez à l’avoir devancé en créant leur griffe : Patricia de Nicolaï, Sonia Constant, Alberto Morillas, Michel Almairac, Francis Kurkdjian et Olivier Cresp.
Ce lieu, Dominique Ropion n’en a pourtant jamais vraiment rêvé. C’est comme un cadeau tombé du ciel. « Un ami yéménite avec lequel j’ai développé beaucoup de fragrances pour le Moyen-Orient [Habib Al-Sowaidi, le fondateur de la maison Reine de Saba] me proposait depuis des années de m’aider à me lancer. J’ai décliné à plusieurs reprises, et puis j’ai fini par accepter, considérant que c’était peut-être le moment », s’amuse-t-il. Un nouveau défi ? Ou peut-être le désir de laisser pour la postérité quelque chose de plus concret qu’un effluve évanescent.
Les six créations de la griffe illustrent parfaitement l’éclectisme du parfumeur. On a là une mandarine à la verdeur mordante (My Clémentine), une rose animale (A Rose is a Rose), un bois de oud lumineux comme le jour (Oud à l’Amour), une tubéreuse douce et aérienne (Innocent Tuberose), un encens profane presque zesté (Encens Insensé) et une explosion de verdure (Crazy Garden). A l’évidence, c’est du Dominique Ropion : un sillage puissant, signé, qui joue le contre-pied avec la matière, lui faisant exprimer autre chose que ce qu’elle dit habituellement. « Chacune de ces formules est issue de travaux personnels, que j’ai démarrés il y a vingt ans, parfois », précise-t-il.
Du pur travail d’artiste
Le créateur ne s’est embarrassé d’aucun test consommateur, et ça se sent. Du pur travail d’artiste qui fait fi des usages et des modes, à l’image du jardin anarchique de Crazy Garden, entre Le Douanier Rousseau et le jardin extraordinaire de Charles Trenet, où l’on croise fleurs et herbes géantes dans une nature surréaliste. Une fois de plus, le parfumeur revisite les grands schémas classiques de la parfumerie, en cherchant à les ancrer dans son époque, mariant les extraits naturels les plus nobles aux molécules de synthèse les plus innovantes.
Il vous reste 72.96% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
Source du contenu: www.lemonde.fr