Une mine non autorisée de bitcoins, alimentée par des générateurs au gaz, a été démantelée en Alberta, une province de l’ouest du Canada, et l’entreprise responsable vient d’être condamnée par la justice. Réputée pour les bas prix de son pétrole et de son gaz, l’Alberta, comme d’autres provinces canadiennes, essaie d’encadrer cet eldorado énergivore.
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C’étaient de simples conteneurs, positionnés le long d’un ancien puits de gaz abandonné du comté de Sturgeon, au nord de la province canadienne de l’Alberta. Appartenant à une société de Vancouver spécialisée dans les cryptomonnaies, Green Block Mining, ces conteneurs étaient reliés à des générateurs au gaz, qui puisaient directement leur alimentation dans le puits avec l’accord de la société propriétaire.
En 2021, les autorités albertaines sont alertées par des voisins, situés à plus de 700 mètres de l’installation. « Il y avait cet étrange bourdonnement métallique incessant », a déclaré la conseillère municipale de la région Kristin Toms à la Gazette de St-Albert en février 2022. L’origine du bruit, comparée à des réacteurs de Boeing tournant au ralenti ? Des serveurs informatiques, dont les ventilateurs tournaient 24 heures sur 24, sept jours sur sept, pour résoudre les équations nécessaires à l’obtention du bitcoin, une cryptomonnaie.
Green Block Mining n’avait prévenu ni les habitants, ni la municipalité, ni même la commission provinciale des services publics, qui n’autorise l’exploitation de ces puits de gaz que si l’entreprise l’utilise officiellement pour son activité et sans engendrer de gêne pour les habitants et l’environnement.
Si la direction de l’entreprise a reconnu sa responsabilité et regrette de ne pas avoir prévenu les habitants, elle assure qu’elle « ignorait les exigences statutaires et réglementaires » de la province. La Commission des services publics de l’Alberta lui a demandé 7 millions de dollars canadiens, mais face aux difficultés financières de l’entreprise, la condamnation a été réduite à 400 000 dollars canadiens d’amende et de remboursement de frais de justice. Green Block Mining a désormais interdiction de développer ses activités en Alberta.
Une ressource coûteuse en énergie
Les cryptomonnaies sont multiples, mais la plus connue et la plus lucrative est évidemment le bitcoin, créé en 2009 et dont le cours a pris son envol après la crise des subprimes. Le problème, c’est que « fabriquer » cette cryptomonnaie, contrairement à d’autres, consomme énormément d’énergie. « Les équations à résoudre pour sceller un bloc de bitcoin sont très complexes, il faut des serveurs très puissants. Le premier qui arrive à le faire emporte la portion de bitcoin correspondante. Il est basé sur une course à la puissance », précise Annie Lecompte.
Cette course à la puissance est surtout due à la rareté du bitcoin. Le système prévoit depuis son origine la création d’au maximum 21 millions de bitcoins. Aujourd’hui, plus de 19 millions ont déjà été « minés ». Or, avec sa popularité et ce système de concurrence, la puissance pour résoudre l’équation est exponentielle, à tel point que le dernier bitcoin devrait être mis en circulation en… 2141, malgré le peu qu’il reste à fabriquer ! « Il n’y a pas si longtemps, des gens minaient le bitcoin avec des consoles Xbox. Désormais, ce sont des entreprises, ou de rares groupements d’individus qui réunissent leurs forces pour réunir la puissance de calcul et l’énergie nécessaire », poursuit Annie Lecompte.
D’où la consommation cumulée de cinq mégawatts des quatre générateurs de gaz installés dans le comté de Sturgeon, qui représente l’équivalent de la consommation d’un TGV lancé à pleine vitesse. Le faible coût de gaz et le froid propre aux hivers canadiens ont dû attirer l’entreprise spécialisée dans le minage, qui pouvait ainsi refroidir et alimenter ses serveurs à moindre prix.
Des législations variables
L’Alberta mise d’ailleurs en partie sur les cryptomonnaies pour revaloriser ses puits de gaz abandonnés. Avec la transition énergétique qui s’amorce, les provinces centrées sur les énergies fossiles, comme l’Alberta, valorisent les gisements abandonnés en proposant à des compagnies d’utiliser le gaz pour alimenter les serveurs nécessaires au minage directement sur place. Par exemple, le système de conteneur, Green Block Mining, permet de passer d’un puits à l’autre rapidement.
Le Texas, État américain qui sent lui la page des énergies fossiles se tourner, fait de même et encourage le minage de cryptomonnaies grâce au prix compétitif de son énergie. D’autres provinces canadiennes, comme la Colombie-Britannique, ont au contraire imposé un moratoire sur cette pratique trop coûteuse en énergie.
Après cette expérience, dans le comté de Sturgeon, la municipalité a accepté ce genre d’activités, tant qu’elles restent à plus de 1 500 mètres des habitations, sans avoir octroyé pour l’heure de nouveau permis. Pour Annie Lecompte, « les retombées sociales sont encore très faibles : cela crée très peu d’emploi, car la grande majorité du processus est automatisé ». Certaines entreprises disent qu’un site de minage crée quatre emplois dans la commune d’installation : des experts évoquent plutôt un, ou deux emplois tout au plus.
En effet, le bitcoin est principalement spéculatif, et n’est que très peu utilisé dans l’économie réelle. Pour l’heure, il sert surtout à enrichir de rares privilégiés encore capables de soutenir la course à la puissance. Chaque année dans le monde, le minage de bitcoin rejette autant de carbone que le sultanat d’Oman, produit autant de déchets électroniques que les Pays-Bas, consomme autant d’électricité que l’Ukraine et autant d’eau que la Suisse, d’après le site spécialisé Digiconomist.
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