A l’Athénée-Théâtre Louis-Jouvet, à Paris, un « Pelléas et Mélisande » en forme de fait divers, intimiste et violent

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Lancée par la Fondation Royaumont et créée il y a plus d’un an à Toulon, avant Orléans et Clermont-Ferrand, cette production de Pelléas et Mélisande, de Debussy (1862-1918), dans sa version pour piano, est enfin accueillie à Paris, à l’Athénée-Théâtre Louis-Jouvet, jusqu’au dimanche 25 février. Le compositeur tenait beaucoup à cette transcription pour clavier de son unique opéra, réalisée et amendée de sa main à mesure que les répétitions et représentations lui imposaient réécritures et corrections, dont témoignent les partitions publiées en 1902 chez Fromont, puis chez Durand en 1905 et en 1907. La bibliothèque musicale François-Lang possède d’ailleurs deux exemplaires de la première édition pour piano, ainsi que celui d’une partition d’orchestre (1904) bourrée de notations autographes à l’encre et au crayon. C’est dire si la quête debussyste s’inscrit au cœur de la Fondation Royaumont, qui célèbre son soixantième anniversaire.

Lire dans les archives (en 1952) : Article réservé à nos abonnés Le cinquantenaire de la création du « Pelléas et Mélisande », de Debussy

A jardin, un grand piano à queue, un petit canapé à cour, et en fond de scène, une palissade en bois percée d’une porte : les metteurs en scène Moshe Leiser et Patrice Caurier possèdent parfaitement leur Pelléas, déjà monté dans les grandes largeurs au Grand Théâtre de Genève il y a vingt ans, avec rien de moins dans les rôles-titres que Simon Keenlyside et Alexia Cousin, avec le Golaud de José Van Dam. Ils ont cependant trouvé un intérêt majeur à remettre l’ouvrage sur le métier, comme si leur était offerte, à l’instar de Debussy contenant l’efflorescence orchestrale aux seules touches du piano, l’expérimentation d’une excitante ascèse scénique.

Car réduction ne rime pas avec appauvrissement, bien au contraire. Il en va parfois de la musique comme de ces brouets dont les parfums et les saveurs se concentrent au fur et à mesure de l’évaporation. C’est ainsi que, rejoignant une forme de symbolisme propre à la poésie de Maeterlinck (auteur du livret), ils ont réduit l’espace à quelques objets. Ainsi le canapé, sur lequel se love d’abord une Mélisande en fuite et en pleurs, se fait tour à tour fontaine de la rencontre amoureuse avec Pelléas, grotte sombre où s’affrontent les demi-frères rivaux, puis lieu de rendez-vous meurtrier du dernier soir, et enfin lit de mort de Mélisande. Le petit Yniold y pleure aussi sa balle perdue, les moutons qu’on emmène à la mort et le bonheur enfui.

Le piano constitue bien sûr un pôle d’attraction. Personnage à part entière qui ordonnance le jeu subtil entre commentaire, ambiance et narration, semblant modeler une parole chantée dont la prosodie jaillit d’une façon fraîche et naturelle. Tout à la fois paysage, décor, dramaturge, il mène le tragique à son terme, construisant également sur le plan visuel une sorte de second plateau. Dès l’entrée, Golaud, visiblement ivre, y prend appui, une bouteille à la main. C’est assise en hauteur sur le large couvercle noir que Mélisande arrange ses cheveux à la fenêtre de la tour, avant de se coucher, demi-nue, pour une érotique scène qui voit Pelléas se fondre dans sa chevelure.

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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