Une entrée au répertoire de l’Opéra de Paris est toujours une reconnaissance, même si Beatrice di Tenda, avant-dernier opéra de Vincenzo Bellini (1801-1835), créé en 1833 à La Fenice de Venise – entre Norma (1831) et Les Puritains (1835) –, risque bien de se cantonner au domaine sinon de l’anecdotique, du moins de l’événementiel. Le synopsis, qui enchevêtre amours, complots et trahison sur fond d’antagonismes politiques, relate le destin tragique de Béatrice Lascaris (1372-1418), comtesse de Tende, veuve remariée à son beau-frère, Filippo Visconti, duc de Milan, à qui elle apporte en dot richesse et pouvoir. Mais celui-ci, épris de la belle Agnese del Maino, va se convaincre de l’infidélité de son épouse, qu’il fera condamner, torturer et exécuter en compagnie de son amant présumé, Orombello.
L’ouvrage n’a pas eu le succès escompté en son temps, quittant durablement l’affiche après quelques représentations et reprises. La faute, dit-on, à un livret mal ficelé, dont l’intrigue ne possède pas l’efficacité dramaturgique d’Anna Bolena, de Donizetti, dont elle s’inspire. Peut-être aussi, corrélativement, à une partition qui souffre de différentiels d’inspiration : airs et ensembles de haut vol au fil de longs tunnels dramaturgiques. Difficile de comprendre, dans ces conditions, pourquoi le metteur en scène Peter Sellars, qui n’est pas apparu aux saluts de la première, le 9 février, car précipitamment reparti aux Etats-Unis pour raisons familiales, souhaitait depuis vingt-cinq ans se confronter à Beatrice.
D’une grande platitude et bien convenue apparaît en effet la direction d’acteurs de l’Américain (flux et reflux des chœurs en tenues de similicuir noir symbolisant l’oppression, l’inévitable garde rapprochée en armes), qui semble se disperser dans l’élégant labyrinthe de verdure conçu par George Tsypin, décor de jardin à la française façon fer forgé, avec haies taillées et topiaires, qui a envahi le plateau du sol au plafond. Quelques mouvements incongrus dans le contexte – Beatrice consultant son portable, les jardiniers avec cisailles puis les laveurs de vitres de la véranda – finissent de semer le doute.
Les costumes de Camille Assaf sont, au mieux, anodins. Comment imaginer que sous la peu seyante robe de mousseline verdâtre de Beatrice se cachent un cœur noble et une âme pure ? Heureusement, il y a les lumières de James F. Ingalls, dont le terrible rougeoiement embrasera la prison végétale au moment des scènes de torture. C’est couverts de coups et de blessures, sanguinolents et les yeux crevés que les amants victimaires seront livrés à la rage meurtrière de l’époux tyrannique.
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