A Paris, Chopin et Rachmaninov en hommage à Pavel Kouchnir, pianiste russe antiguerre mort en détention

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Il n’y eut pas un mot d’introduction, le programme suffisait. Sur la scène dépouillée de la petite Salle Cortot, à Paris, bien remplie en ce lundi 18 novembre, deux musiciens de renommée mondiale, Grigory Sokolov et Sergei Babayan, se sont glissés l’un après l’autre, silencieux, derrière un grand piano noir à queue. Tout en maîtrise, le premier a interprété Frédéric Chopin et Robert Schumann, le second, plein de fougue, a joué Arvo Pärt, un compositeur estonien spécialiste d’une musique épurée, Franz Liszt, Franz Schubert et Sergueï Rachmaninov.

Tous deux nés en Union soviétique, à Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), pour Grigory Sokolov, et à Gyumri, en Arménie, pour Sergei Babayan (naturalisé américain depuis), ils ont ainsi rendu hommage pendant près de deux heures à l’un de leurs pairs, le pianiste Pavel Kouchnir, mort à 39 ans dans les geôles de Vladimir Poutine. Spécialiste des mazurkas de Chopin, ce dernier s’était imposé un exil interne en se retirant en 2023, un an après l’invasion de l’Ukraine, dans l’oblast du Birobidjan, une région autonome juive créée par Staline située dans l’Extrême-Orient russe, à 6 000 kilomètres de Moscou, à la frontière avec la Chine.

Engagé comme soliste de la philharmonique de Birobidjan, la ville du même nom de la région, ce diplômé du prestigieux conservatoire de musique de Moscou, l’école Tchaïkovski, pensait y jouir d’une plus grande liberté. Opposé à la guerre en Ukraine – il avait aussi participé à Moscou aux grandes manifestations de la place Bolotnaïa, à l’hiver 2011-2012 contre la réélection de Vladimir Poutine –, il avait commencé à placarder des tracts.

Quatre vidéos contre Poutine

Puis, Pavel Kouchnir publie sur sa chaîne YouTube, nommée « agent étranger Mulder », quatre vidéos. Dans l’une d’elles, il dénonçait « le régime fasciste de Poutine ». « La guerre en Ukraine est une honte pour tous les Russes ; ne vous habituez pas au fascisme ; la vie, c’est ce qu’il n’y aura pas sous le fascisme ; la haine est l’idéologie officielle du fascisme. » Le message est quasi confidentiel car il n’est suivi alors que par cinq abonnés (plus de 175 000 aujourd’hui) mais il suffit à conduire à son arrestation.

Lire le récit : Article réservé à nos abonnés En Russie, la mort d’un pianiste antiguerre en prison

Accusé d’inciter publiquement « à commettre des actions terroristes », il meurt en détention, officiellement des suites d’une grève de la faim. Le 27 juillet, son décès est annoncé par sa famille. Quelques jours après, à l’initiative du pianiste russe Alexandre Melnikov, une douzaine de grands noms de la musique classique, parmi lesquels Martha Argerich, Daniel Barenboim, ou Anne-Sophie Mutter, signent une lettre ouverte dans le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine, rendant hommage au militant antiguerre et à « tous les innombrables prisonniers politiques inconnus en Russie comme ailleurs dans le monde ».

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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