Farfouillant dans le riche programme cinématographique du Festival des 3 continents de Nantes, qui s’est tenu du vendredi 15 au samedi 23 novembre, on tombait sur l’intitulé mystérieux de ce cycle : « Derek Yee, l’autre courant de la nouvelle vague hongkongaise. » Soit une double énigme pour le commun des mortels, qui n’est supposé savoir ni qui est Derek Yee ni en quoi consiste « l’autre courant » d’une nouvelle vague hongkongaise qui, sans doute, ne lui dit en elle-même que peu de choses. Des salles systématiquement bien remplies – où une jeunesse curieuse semblait faire son retour – furent heureusement guidées tout du long par les mises en perspectives du critique et programmateur hongkongais Clarence Tsui, fort d’une connaissance parfaite et claire de son sujet.
Dressons à la six-quatre-deux un tableau de la situation. Tout se déroule sur le fond de la Shaw Brothers, studio mythique fondé à Hongkong en 1958, âge d’or d’un cinéma hongkongais qui, entre sabre et kung-fu, essaime dans toute l’Asie avec des virtuoses tels que King Hu (1932-1997) ou Chang Cheh (1923-2002). Le studio, qui débite bientôt du divertissement à la chaîne, amorce son déclin dans les années 1980 tandis qu’une jeune garde de réalisateurs aspire à un cinéma moins standardisé. Sa fermeture en 1985 marque ainsi l’éclosion d’une nouvelle vague dont Tsui Hark (Histoires de fantômes chinois, 1987) et John Woo (The Killer, 1989) deviennent les figures de proue.
Si ces deux réalisateurs redéfinissent brillamment les codes du cinéma d’action, au point de les exporter jusqu’à Hollywood, d’autres, moins connus sur le plan international, s’ouvrent à d’autres horizons, plus réalistes, plus intimistes, plus sociaux. C’est le cas d’Ann Hui, à laquelle le festival nantais rendit hommage en 2023.
Envers du miroir du capitalisme
C’est aussi bien celui de Derek Yee. Né le 28 décembre 1957 à Hongkong, ce dernier mène depuis quarante ans une carrière comme acteur, scénariste, réalisateur et producteur. Il a de qui tenir. Son père était producteur, sa mère, ses frères et sa sœur, acteurs. Entré à la Shaw Brothers à la fin des années 1960, il y décroche son premier grand succès comme acteur en 1977 dans Death Duel, de Chor Yuen, fantaisie ornée et virevoltante dans laquelle il interprète un dieu vivant du sabre que tous les combattants du pays, parmi lesquels une fieffée harpie, rêvent d’occire.
Lorsque le studio ferme ses portes, Derek Yee, fort lassé des sabreries, en profite pour passer de l’autre côté de la caméra. C’est à cette partie de sa carrière que le corpus nantais rendait pour l’essentiel hommage, en 12 films. Le résultat est, pour le moins, déconcertant. Car c’est moins un styliste virtuose à la Tsui Hark ou à la Wong Kar-wai qu’on découvre qu’un artisan à l’éclectisme débridé, soucieux pour chacun des genres qu’il aborde de montrer, à travers des personnages en souffrance et en marge, l’envers du miroir du capitalisme hongkongais. Film social (The Lunatics, 1986), film de braquage (People’s Hero, 1987), mélodrame (C’est la vie, mon chéri, 1993), comédie érotique (Viva Erotica, 1996), documentaire (Pan Yuliang, artiste peintre, 1994), polar (Une nuit à Mongkok, 2004), tout y passe.
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