Avec le cinéaste Timm Kröger, l’expressionnisme allemand sous LSD

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A quoi s’accroche-t-on lorsqu’on a 14 ans à Itzehoe, petite ville allemande délicieusement ennuyeuse du Holstein, à la frontière danoise ? A ses vieux Lego, répond Timm Kröger dont on découvre aujourd’hui le premier film en salle, l’étonnant Universal Theory. Faute d’amis à faire jouer devant sa caméra, le fils de prof (« Ma mère était trop mauvaise en français pour tenir une conversation, mais assez bonne pour l’enseigner »), qui tente d’apprendre les rudiments du métier en regardant les films de Stanley Kubrick, va faire ses premières armes avec ses briques et ses personnages en plastique.

Lire la critique d’« Universal Theory » : Article réservé à nos abonnés une réflexion mélancolique filmée en noir et blanc sur les mirages de la science

Cinq ans plus tard, faute d’avoir été reçu à l’European Film College d’Ebeltoft, au Danemark, (l’école de Joachim Trier), le jeune homme se dirige vers les mathématiques. « Pour moi, elles ont toujours été associées à une réflexion métaphysique. Sibelius, le compositeur, disait que la musique exprime des émotions que les mots seuls ne permettent pas de dire. Il en est de même pour les mathématiques avec la raison. Elles sont ce qui existe de plus proche d’une langue pour exprimer la vérité… » Les maths attendront, Ebeltoft l’appelle in extremis, et voici Timm Kröger rejoignant cette « sorte de Poudlard, l’école d’Harry Potter, mais pour le cinéma ». « On apprenait tout sur les films, un creuset d’idées et d’histoires… »

Il y a quelque chose de touchant à regarder naître les sorciers. A 38 ans, ses films sont des sortes d’ovnis personnels, à la photographie méticuleuse, aux choix stylistiques marqués jusqu’à l’exagération, aux histoires sinueuses comme écrites sous acide… Il dit en souriant : « Le cinéma se rapproche des rêves. C’est le seul endroit où l’on peut essayer de les vivre collectivement. Je veux dire, à part l’autre option consistant à mettre effectivement du LSD dans l’eau potable, mais bon… »

En quête d’un langage personnel

Accrochée sur un mur de son domicile berlinois, d’où il nous parle – télétransporté en visioconférence –, on aperçoit sa guitare. « En général, je joue des chansons folks merdiques que j’ai écrites moi-même. Ma façon de lutter contre la dépression. Mais, en réalité, ce que j’écoute le plus, ce sont les musiques de film. Je sais, ça peut faire un peu con. Si la musique a beaucoup évolué, la musique de film est restée coincée dans une époque étrange, presque d’avant-guerre. J’apprends à écouter la musique d’après les années 1960. Mais je suis plus à l’aise avec des trucs plus anciens, les romantiques tardifs, Mahler… »

Il y a quelque chose à la fois de très humble et de très original, dans sa façon de parler de lui et de son cinéma. Ni dandy ni intellectuel, en quête d’un langage personnel : « Je trouve la vie assez drôle, mais, dans l’art, j’aime la mélancolie, c’est le sentiment le plus intéressant pour moi. Profiter des beaux moments que je vis, tout en imaginant déjà le temps où ce présent sera révolu depuis longtemps, c’est ce qui en fait le prix. La beauté du temps qui passe. Et son tragique. »

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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