« Barbie », sur Canal+ : Greta Gerwig orchestre un « Truman Show » version « girly »

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CANAL+ – VENDREDI 16 FÉVRIER À 21 H 10 – FILM

Pressentant très certainement le pacte faustien qu’elle s’apprêtait à signer, Greta Gerwig a eu besoin d’un an de réflexion avant d’accepter, après seulement deux réalisations (Lady Bird, en 2017, et Les Filles du docteur March, en 2019), de se voir confier par Warner les manettes d’un blockbuster à 100 millions de dollars (93 millions d’euros).

La réalisatrice et son coscénariste − et compagnon −, Noah Baumbach, semblent gesticuler en tous sens pour prouver qu’ils gardent la main, faisant fi de l’ambition avouée par Ynon Kreiz, PDG de Mattel : « Passer d’une entreprise de fabrication de jouets, qui fabrique des articles, à une entreprise de propriété intellectuelle, qui gère des franchises. »

Après un incipit emprunté à 2001 : l’odyssée de l’espace (1968), de Stanley Kubrick, Barbie nous immerge dans l’univers de Barbie Land, une petite bulle de perfection rose bonbon dans laquelle se réveille Barbie (Margot Robbie), vivant chaque jour la même journée ensoleillée, dans un décor de toiles peintes, où seuls sont tolérés la bonne humeur et le loisir permanent – un Truman Show version girly.

Lire le portrait : Article réservé à nos abonnés Margot Robbie, femme de pouvoir à Hollywood et Barbie post-#metoo à l’écran

Tout ancien usager de la poupée ne peut que se laisser prendre par cet univers familier dont la facticité est source inépuisable de gags : Barbie savoure une tasse de café vide, prend une douche dépourvue d’eau, ses pieds sont naturellement cambrés… Chaque jour, elle retrouve ses amis sur la plage, chaque soir, on fait la fête.

Mécanismes du patriarcat

Mais, un soir, sur le dancefloor, Barbie pense à la mort. Le lendemain, une série de couacs vient entacher la régularité du quotidien, et un début de crise existentielle – et de cellulite – pointe le bout de son nez. La poupée doit se rendre en urgence dans le vrai monde, à la recherche de sa propriétaire tourmentée, qui serait la cause de ce détraquement.

Là, en Californie, elle découvre pour la première fois le sexisme généralisé, l’avis réprobateur de la nouvelle génération, qui l’accuse d’être le visage d’un « capitalisme sexualisé », l’hypocrisie du PDG de Mattel (le génial Will Ferrell). De retour à Barbie Land, son petit ami, Ken (Ryan Gosling) – un puits sans fond de crétinerie –, a rapporté dans ses bagages les mécanismes du patriarcat. C’est le monde réel qui a vicié Barbie.

Sous la dérision kitsch, Barbie a des allures de premier bilan du Hollywood post-Covid-19 : l’auteurisme dévoré par l’hégémonie des franchises ; l’ironie permanente et la postmodernité comme impasses narratives ; la « familiarité rassurante » comme valeur refuge d’une industrie en pleine crise morale.

Enfin, c’est sans doute là le plus pénible : la défense d’un féminisme néolibéral et infantilisant, ce fameux empowerment cuisiné à toutes les sauces, façade respectable d’un capitalisme décomplexé. Si les détails sont signés Greta Gerwig, le tableau général appartient au studio et à Mattel, qui parvient à sauver sa camelote des assauts d’une critique trop acerbe.

Barbie, film de Greta Gerwig (EU, 2023, 115 min). Avec Margot Robbie, Ryan Gosling, America Ferrera. Disponible à la demande sur MyCanal.

Source du contenu: www.lemonde.fr

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