Bruno Dumont, réalisateur de « L’Empire » : « J’aime bien mes acteurs, je ne cherche pas la crise de pouvoir »

Share

Pour son douzième long-métrage, le cinéaste signe sa première incursion dans le space opera. Le film, en compétition officielle à la Berlinale, qui se tient jusqu’au 25 février, trouve naturellement sa place dans une œuvre obsédée par la question du bien et du mal.

Pourquoi avez-vous choisi la forme du space opera ?

Je voulais raconter l’histoire de l’origine de Freddy, le héros de La Vie de Jésus [1997], et tout de suite m’est venue l’idée des grands récits fabuleux et mythologiques. Dans le space opera, les choses sont claires, les abstractions apparaissent : on voit l’infini, la profondeur de l’espace, le bien et le mal. Toutes ces grandes notions nébuleuses finissent par s’incarner. En m’emparant du genre, je voulais rendre visible cette substance métaphysique qui, habituellement, pulse sous les choses.

Tout votre cinéma est construit sur l’idée que plus on s’enfonce dans le naturel, plus on trouve le surnaturel…

C’est ce que j’ai toujours pensé du naturel. Je filme le réel, les champs de blé et les gens du Nord, mais je vois bien qu’il y a toujours autre chose, que je filme toujours au-delà. On trouve cela dans les écrits des mystiques : vous avez toutes les correspondances de l’au-delà dans la nature. Et ça, je le vois sur ma table de montage, je vois qu’il y a une transfiguration cinégénique. Le sachant, je tourne « petit » : je prends une petite rue, je filme le commun des choses. J’ai tellement confiance dans la puissance de la caméra qu’il faut y aller avec humilité. La lumière du Nord, elle est là, elle repose là, il ne faut pas faire le malin avec elle. Mon chef opérateur l’a très bien compris, il a bien vu que la caméra vibre tout de suite quand il filme au bord de l’eau ou un champ de seigle.

Pourquoi avez-vous généralisé l’oreillette sur le plateau ?

Je fais cela depuis P’tit Quinquin [2014]. L’acteur qui joue le commandant [Bernard Pruvost] ne mémorisait pas, donc on a trouvé cette solution. Je lui ai mis une oreillette, un assistant lui donnait le texte et moi, quelques indications ; ça fonctionnait très bien. J’ai donc mis des oreillettes à tout le monde, même à [Fabrice] Luchini. Ça produit une perturbation de l’acteur qui m’intéresse. Il faut savoir qu’un acteur est toujours inquiet du texte, l’oreillette le libère de cette angoisse, et moi, ça me permet de lui parler sans pour autant lui dire comment il faut jouer, car ça, je n’en sais rien.

Lire le portrait (2016) | Article réservé à nos abonnés Bruno Dumont, les prolos et les aristos

N’y a-t-il pas une intimidation réciproque entre acteurs professionnels et non professionnels ?

Je pense que les professionnels ont peur des non-professionnels : ils voient très bien qu’ils jouent sur trois notes, mais que ces trois notes sonnent très juste. Ils sentent bien qu’il y a une nature qui est devant eux et que la nature est vraie – ils sont très impressionnés par le Nord et les gens du Nord. Mais, au fond, tous les acteurs ont peur. La peur, c’est le partenaire, et je ne rassure pas mes acteurs, parce que j’ai vite vu que la peur de tourner produit quelque chose à l’image.

Il vous reste 49.82% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Source du contenu: www.lemonde.fr

Dernières nouvelles

Dernières nouvelles