Cimafunk : « Aujourd’hui, j’arrive à imaginer de nouvelles perspectives pour la musique afro-cubaine »

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Nous avions laissé Cimafunk en 2019, quelques semaines avant son premier concert au festival Tempo Latino. J’avais alors rencontré un jeune homme enthousiaste encore étonné de sa nouvelle notoriété. Septembre 2024. Je retrouve Erik Alejandro Iglesias Rodríguez dans la perspective de sa tournée prochaine en France. Le changement est notable. J’ai en face de moi un musicien confiant et apaisé. Cette nouvelle rencontre après cinq ans est l’occasion de mesurer le chemin parcouru. Il faut dire qu’entre-temps, le monde a été plongé en pleine pandémie.

Lors de notre premier entretien, tu venais de connaître une ascension fulgurante. J’aimerais reprendre le fil là où on l’a laissé. Après « Terapia », tu as multiplié les collaborations avec trois singles incroyables… « Ponte Pa’Lo Tuyo, El Potaje et Caliente. »

C’est ça. C’est comme si, après avoir réalisé toi-même ton premier album, tu avais eu soif d’apprendre des autres ?

« Définitivement. Tu imagines ? J’ai eu l’opportunité de travailler avec Chucho Valdés, Omara Portuondo, La Orquesta Aragón… Pour moi, c’étaient des moments à part. Ce fut un processus intense car j’avais conscience d’avoir une grande responsabilité entre mes mains. »

Cimafunk & Michaël Brun, par Arien Chang Castan

En 2020, tu as organisé à La Havane « New Orleans meets Havana ». Tu as travaillé avec des musiciens emblématiques de La Nouvelle-Orléans comme Trombone Shorty ou Tank and The Bangas… Qu’elle est ta relation avec ta ville d’adoption ? Cette ville incroyablement musicale influence-t-elle ton travail ?

« Énormément ! La Nouvelle-Orléans est tranquille et à la fois incroyablement active. C’est une ville noire qui possède un fort esprit communautaire. Elle ressemble tellement à Cuba, avec la même histoire de l’esclavage, la même nourriture, les mêmes divinités, la même vibration… On y trouve de nombreuses nationalités latino-américaines et on y entend de la musique tout le temps à chaque coin de rue. Des jams partout qui véhiculent partage et ouverture. C’est la Caraïbe. Je m’y sens comme à la maison. »

Peut-on espérer un jour un album de Cimafunk avec les sons de La Nouvelle-Orléans ?

« Je ne fais pas de plan »

« J’adorerais. Mais tu sais, je ne fais pas de plan. Je ne fonctionne pas avec des concepts. Je peux dire : Allez, on va faire un album sur la musique du carnaval de La Nouvelle-Orléans pour finalement obtenir quelque chose de très différent. Je m’adapte au moment. Je suis mon instinct. »

Ton deuxième album, « El Alimento », t’a permis d’affirmer ton style. Tu as déclaré que tu faisais du copier-coller, que tu te contentais de réutiliser ce que tes prédécesseurs avaient créé avant toi. Pourtant, tu possèdes une signature unique : ton flow, ta voix, les paroles en espagnol sexy sur la musique funk. Pourrais-tu préciser ta pensée ?

« J’ai copié, modifié, recyclé jusqu’à forger mon propre son »

« Si tu veux, ça a été un processus global. J’ai appris énormément de mes prédécesseurs, de tout ce que j’ai pu écouter auparavant. Par exemple, la timba [salsa cubaine] que j’écoutais quand j’étais gamin… » Il en imite le rythme. « Je l’ai réutilisée à ma façon. » Il reprend totalement différemment. « J’ai copié, modifié, recyclé jusqu’à forger mon propre son. »

« El Alimento » a été marqué par un saut qualitatif dans la production, n’est-ce pas ?

« Exact. Dans le son, mais aussi dans l’architecture même du disque. Ces progrès, je les dois à Jack Splash qui était le producteur. Tu sais qu’il a travaillé avec John Legend, Alicia Keys, et tant d’autres ! Il m’a été d’une aide immense. »

Il s’est passé également un déclic sur scène. Je me souviens d’un concert que tu avais donné dans une petite ville de province, cela bien avant Jazz à Vienne ou Jazz in Marciac. Le show était d’une redoutable efficacité. Non seulement, tu avais pleinement endossé tes habits de showman, mais en plus les musiciens également faisaient le spectacle. Quelle relation entretiens-tu avec ton groupe ?

« Nous avons une relation très organique. J’arrive avec la liste des morceaux, ils me proposent leurs idées et on travaille ensemble pour adapter les arrangements à la scène. » Pour toi, le spectacle est très important… « Bien sûr ! Chaque musicien joue un personnage, tout en respectant sa sonorité et personnalité propre. » … au service du show. « Clairement. Dans le concept et l’esthétique du spectacle. »

Pochette de l’album « Pa’ Tu Cuerpa » de Cimafunk (Mala Cabeza Records)

Je crois savoir qu’ils ont été très présents pendant la conception du nouveau disque…

« Complètement. Mes musiciens ont participé à la production de « Pa’Tu Cuerpa ». Dr Zappa, mon batteur et directeur musical, a produit plusieurs titres comme Dátela et Cuchi-Cuchi. Bejuco, mon guitariste, a produit Pretty. »

Quand on entend pour la première fois Cuchi Cuchi, le titre d’ouverture, on s’attend à ce que l’album soit une suite à « El Alimento ». Pourtant, dès le deuxième morceau, Playa Noche, on est plongé dans un univers très différent. Quelle était l’idée ?

« C’était voulu, bien sûr. Mon idée était de garder le funk tout en introduisant la pop, mélanger la sensualité de Marvin Gaye au groove d’Earth, Wind & Fire… à la manière de Cimafunk. » Il se reprend : « A la manière de Cimafunk aujourd’hui. »

Tu précises : « A la manière de Cimafunk aujourd’hui. Dans « Pa’Tu Cuerpa », la plage musicale constituée de Playa Noche, Dime et Catalina [avec le groupe colombien Monsieur Périné, nommé aux Latin Grammy] donne sa couleur à l’album. Est-ce qu’on peut dire qu’avec ces titres, tu t’ouvres aux musiques latines actuelles ?

« Aujourd’hui, j’arrive à imaginer de nouvelles directions pour la musique afro-cubaine »

« Définitivement ! Cuba a longtemps été coupée du monde. On s’est longtemps contenté des instruments traditionnels. Désormais, on a l’opportunité de reconnecter à la modernité. Prends La Pomada que j’ai réalisée avec Wampi [chanteur cubain de musique urbaine]. » Il imite avec sa bouche le riff introductif. « Je n’avais jamais produit ce genre de son. J’adore ça et je veux continuer à expérimenter. Je veux voir où je peux emmener le son afro-cubain avec la technologie. Aujourd’hui, j’arrive à imaginer de nouvelles directions pour la musique afro-cubaine. »

Tu m’as confié un jour que tu n’envisageais pas de signer sur un gros label. En t’écoutant, je me demande si tu n’aurais pas envie de produire pour les autres ?

« Très. On a fondé un nouveau label avec des amis producteurs proches. Avec Mala Cabeza Records, on va pouvoir se donner les moyens pour ça. »

« Pa’ Tu Cuerpa » est marqué par une dernière rupture avec la conclusion. Encore une fois, on ne s’y attend pas…

« Certaines chansons doivent attendre pour sortir au bon moment »

Il ne cache pas sa satisfaction. « A Tu Merced s’ouvre vers de nouvelles choses. J’ai composé cette chanson il y a quinze ans mais je n’avais pas les bons interprètes. Quand j’étais débutant, je n’avais pas les connexions. Alors je l’ai rangé et j’ai attendu patiemment. Les années ont passé et j’ai fini par rencontrer Pancho Céspedes [populaire chanteur et compositeur cubain]. Quand j’ai entendu sa voix sur le morceau, c’était… Wow ! Certaines chansons doivent attendre pour sortir au bon moment. »

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Tu vas entamer ta nouvelle tournée. Verra-t-on des changements sur scène ?

« Tout à fait. Le spectacle sera très différent. Qui dit nouvelles sonorités, dit nouvelles vibrations, nouvelles intentions. Les musiciens aussi évoluent. Cela change ton attitude sur la scène. Forcément, le groove, les vibrations sont différents. On pourrait avoir Me Voy avec des arrangements très différents. Je suis impatient de voir le résultat. »

Est-ce que tu as vu de nouveaux publics arriver à tes concerts ? Tu avais déjà touché une audience différente au festival Coachella, n’est-ce pas ?

« Complètement ! Je vois de plus en plus de latinos, un public plus habitué à la musique urbaine. A Coachella, la plupart ne me connaissaient pas. Tu sais comment je l’ai su ? Au nombre de followers qui a explosé le jour suivant ! Ils avaient adoré. »

La presse a beaucoup parlé du fait que tu avais été le premier musicien cubain à participer à Coachella. Est-ce que c’est quelque chose de si important ?

« Coachella m’a apporté la crédibilité. Des retombées énormes et de nombreuses d’opportunités. J’ai réalisé l’importance des live shows dans l’industrie musicale. Beaucoup de bonnes choses ont démarré après Coachella, comme ma nomination aux Grammy [catégorie Best Latin Rock or Alternative Album] par exemple. »

Concert : Cimafunk & La Tribu. A Toulouse le 26 novembre 2024, Montpellier le 27 novembre 2024, Paris le 29 novembre 2024.

Album : Cimafunk « Pa Tu’Cuerpa » (Mala Cabeza records).

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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