Dans « Walk Up », le cinéaste Hong Sang-soo gravit les étages de sa maison hantée

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L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

Au milieu de Walk Up, le dernier long-métrage de Hong Sang-soo à sortir sur les écrans français, une scène retient l’attention. En fin de repas, un personnage de réalisateur connu et plutôt mainstream se lamente du coût des tournages et des délais de production, regrettant les années perdues entre deux films. « Tout est question d’argent ! », se plaint-il, s’empressant d’ajouter : « Il n’y a pas de raison à cela. »

Ce rêve d’une production délestée de l’industrie, on peut dire que Hong Sang-soo l’a poussé jusqu’au bout, lui qui désormais tourne deux ou trois films par an, en toute indépendance. En vingt-huit ans de carrière, celui que le milieu du cinéma sud-coréen regarde comme une anomalie a constitué autour de lui un système léger, qui lui permet de tourner vite et à l’envi : une petite structure (Jeonwonsa Film Co.), une équipe réduite (quatre personnes), du matériel léger et une troupe compacte d’acteurs fidèles. Ses « petits » films enchaînés les uns aux autres composent ainsi un microcosme en perpétuelle expansion.

Après plusieurs films ayant poussé l’épure au bord de l’effacement, Walk Up renoue avec une écriture sinueuse, voguant entre les dimensions de l’espace et du temps. Le film prend pour cadre un lieu unique, un immeuble de Gangnam, le quartier huppé de Séoul, épousant complètement la forme de la bâtisse, lisse et cubique à l’extérieur, mais, à l’intérieur, de guingois et biscornue.

Byung-soo (Kwon Hae-hyo), un réalisateur réputé dans la force de l’âge, accompagne sa fille pour une visite – en fait, une demande de stage – chez une amie décoratrice d’intérieur (Lee Hye-young), qui leur fait visiter sa propriété sur trois étages et un sous-sol. Celle-ci abrite un atelier, des logements, et même un restaurant. Byung-soo, divorcé et au tournant de sa carrière, y reviendra par trois fois, à divers moments non décisifs de sa vie. Au premier étage, il déjeunera à la table désertée d’une restauratrice célibataire (Song Sun-mi). Au deuxième, il vivra un temps avec elle, partageant son appartement. Au troisième, dans la plus haute mansarde, il végétera seul.

Contes d’hiver en noir et blanc

Comme les autres films du cinéaste, Walk Up est rythmé par les scènes de table. Elles accueillent d’amples conversations alcoolisées où les convives trébuchent sur la toile cirée du langage, cernés par les silences gênés, les formulations maladroites, les dyslexies du sens et les coups d’yeux en coin. Ici, point n’est besoin de présenter les personnages, tant ils se révèlent directement par leurs propos intempestifs, et plus encore dans les lacunes de ceux-ci. Si les films de Hong Sang-soo se classent par saisons, celui-ci appartient aux contes d’hiver en noir et blanc, dont les contours nets amplifient, par contraste, les imprécisions humaines. On pourrait aussi les classer par breuvages : ici, c’est le vin qui prédomine, instillant au film ses vapeurs d’ivresse et son tanin mélancolique.

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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