De 1792 à nos jours, la défense des valeurs républicaines

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Claude Patriat, Université de Bourgogne

Elle était annoncée et elle s’est confirmée : la première place du Rassemblement national (RN) lors du premier tour des élections législatives montre sa puissance d’attraction et la profondeur de son enracinement. Le RN a augmenté son score des européennes, bénéficiant notamment de la forte hausse de la participation.

Face à la perspective de voir le parti de Marine Le Pen et de Jordan Bardella au pouvoir, ont suivi de nombreux appels aux désistements, mais aussi à la mise en œuvre d’un « Front républicain ».

L’arsenal républicain dans l’histoire

Depuis la proclamation de la République française en 1792, tout un arsenal de mécanismes aux noms différents s’est en réalité développé dans les moments de crise pour unir les défenseurs de la République face aux dangers pressentis.

Le principe est toujours le même : tracer une ligne de démarcation entre les défenseurs des valeurs universalistes de la République et leurs adversaires, en faisant l’union électorale de différents partis. Suivant le moment, il peut s’agir d’une simple entente appuyée sur un accord de désistement, comme en 1888 contre le boulangisme.

Les choses peuvent être plus formalisées et se redéployer dans une formule de gouvernement commun entre les partis coalisés : tel est le cas du bloc dont le plus célèbre, le bloc des gauches, mis en place en 1902, dans le prolongement de l’affaire Dreyfus. Il n’est plus alors simplement question de défendre les institutions républicaines contre les monarchistes, mais de se battre pour les valeurs universalistes qui sous-tendent le régime.

À travers l’histoire, on trouve également les formules d’union ou de cartel. Et bien sûr l’acmé avec le Front populaire de 1936, qui prendra historiquement valeur de paradigme : accord de gouvernement des forces de gauche et du centre gauche pour barrer la route au fascisme qui ennoye l’Europe, mais aussi relié étroitement aux acteurs sociaux et à leurs revendications programmatiques. C’est d’ailleurs dans les grandes avancées sociales qu’il puisera toute sa force jusqu’à sa disparition en novembre 1938.

Le Front républicain apparaît ensuite en 1956 comme coalition de centre gauche. Sans atteindre la dimension sociale du Front populaire, il s’agit cette fois de trouver une position sur l’Algérie et de faire barrage au mouvement poujadiste antiparlementaire, dont Jean Marie Le Pen est l’un des élus.

Mais surtout, le Front républicain retrouve sa pleine résonance politique et sociale en avril 2002, dans le rassemblement autour de Jacques Chirac, qui incarnera l’unité triomphante avec plus de 80 % des suffrages exprimés au second tour des présidentielles.

La réponse électorale avait été à la mesure de l’avertissement. Mais l’évolution des pratiques politiques ne suivra pas, et l’on retombera dans l’ornière d’un système présidentialisé, jugé finalement bien confortable par les partis candidats à l’alternance.

La nouvelle extrême droite de velours

Sous l’impulsion de Marine Le Pen, qui saura parfaitement se couler dans les failles des fractures sociales et utiliser habilement les réseaux sociaux (comme l’a montré l’affaire des « gilets jaunes »), le FN/RN s’implante alors en profondeur dans le pays, se banalisant au fil du temps.

Il n’est plus un danger circonstancié qui surgirait par surprise, mais devient un élément permanent du paysage politique. Les temps politiques ont donc profondément changé et faute des anticipations nécessaires, le concept de Front républicain s’est écorné et affaibli au fil des élections. En fait, il a perdu de son évidence pour beaucoup d’électeurs. Aujourd’hui, même s’il peut arithmétiquement contribuer à diminuer l’espace du RN et compromettre ses chances d’obtenir la majorité absolue lors du second tour, il ne suffira pas à modifier la géométrie de l’espace politique.

Pour être pertinent et efficace, le Front républicain appelle trois conditions : une menace clairement identifiée sur nos institutions et nos valeurs ; une incarnation personnalisée de l’adversaire ; un sentiment majoritairement partagé de la nécessité d’un vote rejet. Or le cadre électoral (avec l’éclatement en circonscriptions) et le contexte politique général peuvent contribuer à brouiller le message, à en affaiblir la force et la portée.

D’abord, l’appel au Front républicain intervient tard, alors que le processus électoral est lourdement engagé. Il eût fallu l’imposer avant le premier tour. Or, malgré les propositions de la majorité présidentielle et des partis centristes modérés, l’entente électorale et programmatique n’a pas été possible. La gauche modérée, qui s’était émancipée de la gauche radicalisée des Insoumis et avait effectué, avec Place publique, un joli score aux européennes, a brutalement renversé ses choix et décidé d’utiliser la mystique du Front populaire en y intégrant l’axe mélenchonien. Au gré des critiques visant le leader de LFI, ce concept d’une coalition républicaine s’est alors encore éloigné. Avec le spectre d’une situation figée et la possible confirmation de la triangulation de la vie politique.

Court-circuit majoritaire

En réalité, depuis 2015 et les élections régionales, la vieille bipolarisation reposant sur un bipartisme dominant a volé en éclats : d’élection en élection, l’affaire se joue désormais entre trois forces. Situation tout à fait inadaptée au mode de scrutin majoritaire, qui ne connaît de réponse que binaire. Vouloir faire entrer du courant triphasé dans un circuit biphasé provoque immanquablement un court-circuit. Nous y sommes. Une option aurait été d’instaurer la proportionnelle, qui aurait pu ouvrir le jeu à la pluralité et aux compromis, mais Emmanuel Macron s’y est refusé.

Dans ce contexte, l’exigence d’un retrait systématique pour le candidat le mieux placé sans aucun engagement de programme lors de ce second tour peut apparaître comme un contresens démocratique : réitération de ce que les électeurs d’extrême droite ne manquent pas de qualifier de déni de démocratie, nœud gordien pour des électeurs de la gauche et du centre désorientés par le flou programmatique, alors même que les élections législatives sont théoriquement celles où peut s’exprimer la pluralité des opinions.

Plutôt que d’un Front républicain à l’avenir incertain, il vaudrait mieux parler d’un sens républicain, réflexe de survie qui, en pleine conscience, inciterait le citoyen à voter comme il pense devoir voter et non comme il a envie de voter… ou de ne pas voter.

Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique, Université de Bourgogne, Université de Bourgogne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Source du contenu: infodujour.fr

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