Judith Godrèche raconte sa «trahison envers une communauté qui revendique vous avoir créé»

Share

La comédienne, qui a porté plainte contre Jacques Doillon et Benoît Jacquot pour viols, dénonce l’omerta qui règne dans le monde du cinéma. Elle a lancé un appel à témoignages pour recueillir la parole des victimes d’agressions sexuelles.

«À mon époque la possibilité du “non” n’existait pas.» Dans un entretien accordé à Mediapart lundi soir, Judith Godrèche a de nouveau témoigné au sujet des agressions sexuelles qu’elle affirme avoir subies, quand elle était mineure, de la part de Benoît Jacquot et de Jacques Doillon. Une trentaine d’années après les faits reprochés, elle explique son long silence par «le fait de ne pas être prête à raconter certaines choses, de ne même pas les réaliser». »Et puis il y a le fait que, de toute façon, quoi qu’il en soit, même si vous aviez été prête, le monde n’attend pas ça de vous», souligne-t-elle. Elle parle de la grande famille du cinéma français comme d’une «communauté qui revendique vous avoir créé» et qui vivrait cette prise de parole comme «une trahison».

Le cinéma, un «moteur dans l’écrasement de la parole»

Judith Godrèche compare sa situation à celle, d’un «robot-femme», créé par un homme, qui voudrait s’enfuir. La réalisatrice de 51 ans s’est parfois sentie prisonnière de ce milieu du cinéma qui affirme : «Tu ne trahiras pas le monde d’où tu viens, ce milieu qui t’a vue grandir et qui considère que tu lui appartiens».

«Ce milieu a-t-il été complice ?», lui demande Mediapart. «Oui, répond-elle, il a été moteur dans l’écrasement de la parole. (…) Cette idée de ne pas trahir l’omerta est très, très forte», insiste-t-elle. Elle raconte ainsi avoir eu peur d’être boycottée au moment de la distribution de sa série, Icon of French cinema, disponible en replay sur Arte. Bien que le nom de Benoît Jacquot ne soit pas mentionné une seule fois au cours des six épisodes, elle a craint que l’influence du réalisateur n’entrave sa «possibilité de créer». Au passage, elle invite également les journalistes spécialisés dans le cinéma, témoins de ce qu’elle a vécu ou de ce que d’autres peuvent vivre aujourd’hui, à procéder à leur examen de conscience.

Réalisateur ou dieu omnipotent ?

Judith Godrèche dénonce la «hiérarchie sur les plateaux», la «divinisation du rôle du metteur en scène» qui mène a une forme de «mégalomanie». «Ça tait des voix dissonantes», explique-t-elle, parce que c’est «un cinéma qui vous prend à des endroits qui sont très personnels, qui donne le sentiment de participer à une œuvre».

La comédienne se remémore ainsi le dégoût profond «mais impossible à formuler» qu’elle a éprouvé pour Jacques Doillon lorsque, alors qu’elle n’avait que 15 ans, le réalisateur de 24 ans son aîné a tenu à tourner avec elle une scène de sexe plusieurs dizaines de fois, sous les yeux de son épouse, Jane Birkin. «Comment est ce que j’aurais pu penser que j’avais le droit de dire non dans une situation ou les adultes avaient l’air de dire que ce qu’il se passait était normal ?», s’interroge Judith Godrèche.

Parler pour (se) réparer

Judith Godrèche a, de plus, lancé dimanche sur les réseaux sociaux un appel à témoignage des victimes de violences sexistes et sexuelles, tous milieux confondus. «J’ai un sentiment de responsabilité», justifie-t-elle. Car la comédienne a l’impression d’avoir «involontairement encouragé des jeunes filles» à entamer des relations avec des hommes plus âgés, d’avoir donné l’impression que c’était «cool» à travers les films dont elle était l’héroïne dans les années 1980. Elle souhaite aujourd’hui ouvrir un espace sécurisant où les jeunes filles et jeunes femmes pourraient s’exprimer, envoyé «un e-mail pour mettre un pied dans la porte» et entamé un chemin de prise de conscience et de reconstruction. «C’est terrifiant le nombre de victimes, de personnes réduites au silence qui évoluent dans des milieux où elles ne savent pas à qui s’adresser, où elles pensent qu’elles vont être effacées de la surface de la planète, qu’elles ne pourront plus bosser.»

Elle reconnaît avoir pris cette initiative aussi bien pour ces femmes que pour elle-même. «On fait les choses pour les autres, mais on les fait pour soi aussi, confie-t-elle. Comme je suis privilégiée, j’ai eu la chance d’avoir la plateforme d’Arte pour écrire cette série, les gens sont un peu plus obligés de m’entendre.» Elle souhaite aujourd’hui «trouver une solution pour donner le sentiment» qu’elle a éprouvé en lisant les messages de soutien qui ont afflué sur son compte Instagram à la suite de ses premières prises de parole. «L’amour et le soutien des femmes» ont «révolutionné ma perception de moi-même», confie Judith Godrèche avec émotion. «L’idée d’être plusieurs, d’être nombreuses c’est comme si j’étais pleine de plein de petits bouts de femmes, et ça, ça me donne de la force.»

Source du contenu: www.lefigaro.fr

Dernières nouvelles

Dernières nouvelles