ARTE RADIO – À LA DEMANDE – PODCAST
Commencer par supplier celles et ceux qui, un peu trop vite peut-être, décideraient de tordre le cou à Lapin et de provoquer sa chute. Dire que certes il se peut que l’on soit échaudé devant ce personnage aux abords peu sympathiques mais que patience et clémence seront largement récompensées. Qu’il y a même fort à parier que vous vous retrouviez comme l’autrice de ces lignes : casque sur les oreilles et hilare à en faire sursauter vos voisins devant tant d’ingéniosité narrative et langagière, sans parler d’un sens de l’humour qu’il faut bien accroché car tout le monde en prendra pour son grade.
Alors, évidemment on pourrait convoquer les plus grands – Balzac, le feuilleton, sa Comédie humaine, ses personnages récurrents ou encore La Fontaine et son « rien ne sert de courir » –, mais disons plus modestement, et après écoute des dix premiers épisodes, que les auteurs de cette série audio ont trouvé leur cadence. Ça tombe bien, on nous souffle dans l’oreillette qu’elle devrait durer six mois – et peut-être même au-delà.
Mais reprenons plus tôt. Au commencement était Boris Razon, directeur éditorial d’Arte France, et son souhait de produire une fiction quotidienne pour élargir l’audience d’Arte Radio, la webradio de la chaîne franco-allemande. Ayant eu vent de l’originale idée, l’auteur et réalisateur Benjamin Abitan (La Dernière Séance ou encore La Préhistoire du futur, deux fictions radio récompensées par le prestigieux prix Europa), proposa à Silvain Gire (alors directeur d’Arte Radio, depuis remplacé par Perrine Kervran) différents pitchs, tout refusés jusqu’à son maigre mais prometteur « C’est l’histoire d’un type qui retrouve ses camarades du primaire pour se venger ».
Pervers narcissique
Benjamin Abitan et Wladimir Anselme, coauteurs de la série La Vésicule merveilleuse, diffusée sur France Culture en 2011, commencent alors à écrire de manière « foutraque et désorganisée ». Pas folle (d’autant que le budget alloué est tout de même de 800 000 euros), la chaîne leur met alors entre les pattes Laura Fredducci, coscénariste notamment d’Un si grand soleil, le soap de France Télévisions, et ce afin que Lapin ne sorte pas trop du champ et du cahier des charges du feuilleton avec son lot de cliffhanger et autres « in the next épisode ».
Comme dans les contes de fées, ils vécurent heureux leur collaboration (in progress). D’ailleurs, cela s’entend car c’est avec une avidité certaine que l’on attend notre quotidienne dose (chaque jour, depuis le 5 février, un épisode est mis en ligne, à raison de cinq par semaine) tant on s’est, avouons-le, attaché à Lapin et à ses aventures.
Mais de l’histoire justement disons quelques mots : soit donc Lapin, épisode 1 : « Je vais vous raconter comment je me suis vengé des gens qui m’avaient fait du mal pendant l’école primaire et comment cette vengeance a provoqué la pire catastrophe écologique de tous les temps. » Et de raconter comment, à 38 ans, il a perdu ses allocations perçues au titre de pervers narcissique (sic) et a été contraint de rejoindre un programme de podcast thérapie s’il entend les récupérer (re-sic). Comment il a dû retourner à Lapinville, la ville de son enfance au « climat de style océanique dégradé » : « Quand on revient dans sa ville natale, on s’attend à ce que ça remue plein de trucs. Moi, ça m’a fait ni chaud ni froid. Rien n’avait changé. » Ce qui changera en revanche – et c’est l’horizon de la fin de ce feuilleton qui annonce déjà et au minimum 200 épisodes – n’est rien de moins que… la destruction de la Terre !
Disons alors que pour se faire les auteurs écrivent en même temps que la série se tourne et se monte, que les réalisateurs (dont certains, comme Cédric Aussir et Laure Egoroff, viennent de Radio France) se succèdent, que chacun apporte sa pâte et sa grammaire propre, que Benjamin Abitan veille au grain (ce qui lui vaut, en sus, le titre de directeur artistique) afin que l’harmonie règne à Lapinville, ce qui ne les empêche pas de s’amuser, se laissant le plaisir de découvrir ce que l’un a imaginé pour voir comment cela s’incruste possiblement dans la grande histoire.
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Découvrir
Car si les auteurs savent comment cela va finir, les possibilités d’y parvenir restent quasi infinies, ce qui leur laisse la liberté non seulement de déployer tel personnage ou intrigue secondaire mais, faisons-leur confiance, de glisser parfois hors du terrier et du terreau proprement réaliste.
Mais puisque divulgâcher est un vilain défaut, terminons juste en disant combien est réjouissante cette fiction qui emprunte et renouvelle tout à la fois les clichés et conventions du feuilleton, s’amuse à démultiplier blagues et mises en abyme, et soigne ses chutes pour le plus grand plaisir de nos oreilles.
La Chute de Lapinville, une série sonore de Benjamin Abitan, Laura Fredducci et Wladimir Anselme réalisé par Benjamin Abitan, Wladimir Anselme, Cédric Aussir, Laure Egoroff, etc. (Fr., 2024, 200 × 5 min). A retrouver sur Arte Radio et toutes les plates-formes d’écoute habituelles.
Source du contenu: www.lemonde.fr