La mort de Günter Brus, artiste autrichien apte à déranger l’ordre public

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De Günter Brus, mort le 10 février à Graz (Autriche), à 85 ans, s’il ne devait rester qu’une image, ce serait celle de Wiener Spaziergang (« promenade à Vienne »), le 5 juillet 1965. Un jeune homme tout de blanc vêtu marche calmement sur les trottoirs. Tout serait normal si son visage et sa chevelure n’étaient aussi couverts de blanc et si une ligne de peinture noire ne descendait de son crâne à son pied droit, à la façon d’une plaie qui le couperait en deux. Dans un premier temps, les passants le regardent avec stupeur. Dans un deuxième, il est interpellé par un policier. Il n’a commis aucun délit, mais son apparition morbide dérange l’ordre public.

Déranger l’ordre public est précisément l’exigence que Brus a portée le plus loin dans ses actions, Aktionen, puisque ici c’est le mot allemand qui s’impose, et non happening ou performance. Ainsi est-il défini le plus souvent comme l’un des quatre principaux actionnistes viennois, avec Otto Muehl, Hermann Nitsch et Rudolf Schwarzkogler.

Il naît le 27 septembre 1938, à Ardning, en Styrie. Quelques mois plus tôt, le 12 mars, l’Autriche est devenue une partie du IIIe Reich, au terme de l’Anschluss, invasion nazie très bien accueillie par la majorité de la population – un fait déterminant dans l’œuvre de Brus. De 1954 à 1958, il est élève à l’Ecole des arts décoratifs de Graz, puis à l’Académie de Vienne, qu’il quitte avant d’en être diplômé. De son arrivée dans la capitale, il disait en 2018 : « Vienne était incroyablement grise, les maisons, tout était gris. L’atmosphère était insupportable pour moi en tant qu’artiste. Je ne veux pas dire qu’il s’agissait d’un Etat policier, mais il avait adopté beaucoup de mauvaises manières de l’époque nazie. »

Poursuites contre lui

Tout en étant manœuvre dans une gare de Vienne, il peint alors des abstractions gestuelles dans la manière de Pollock, sans s’en satisfaire. C’est le moment où il rencontre Muehl, Nitsch et d’autres jeunes artistes, dont Ana, sa compagne et sa partenaire pour sa première Aktion, intitulée Ana, en 1964. Ensemble, ils s’arrachent aux limites de la peinture et, elle nue et lui emmailloté dans des linges, se couvrent de couleurs, les projettent sur les murs et le sol et s’arrêtent parfois dans des positions érotiques ou macabres. Agir sur le corps au lieu de représenter sur une toile, c’est ce que font aussi Nitsch et Muehl depuis 1962, s’inondant de couleurs ou de sang animal, rejouant des scènes de martyre et de sacrifice.

Le principe même de l’actionnisme est, en effet, de placer ses contemporains devant la réalité de la manière la plus crue : la réalité de la vie organique et sexuelle mise à nu, celle du catholicisme autrichien castrateur et celle de l’histoire du pays, premier et principal collaborateur du nazisme. Ainsi, après Ana, Brus accomplit-il en 1965 Wiener Spaziergang et la série des Selbstverstümmelung (« automutilation »). Suivent l’explicite Pissaction, avec Muehl à Munich, en 1968, et Körperanalyse (« analyse corporelle »), en 1969.

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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