Le cinéma décentré d’Andrew Haigh

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En juin 2015, Bret Easton Ellis consacrait un épisode de son podcast au cinéaste anglais Andrew Haigh. « Parfois, quand les gens regardent un “film gay”, ils oublient que c’est aussi un film qui parle d’autre chose », constatait l’écrivain américain en introduction. Neuf ans plus tard, Andrew Haigh est de retour avec un cinquième long-métrage qui, comme le notait l’auteur de Lunar Park, est un « film gay » qui évoque lui aussi beaucoup d’autres choses.

Andrew Scott y joue Adam, un auteur aux prises avec un scénario autofictionnel qui l’amène à ressasser la mort de ses parents, lors d’un accident de voiture quand il avait 12 ans. Il fait la rencontre de Harry (Paul Mescal), son unique voisin dans la tour d’habitation londonienne étrangement déserte où il vit.

Leurs solitudes s’entendent et l’amour naît, draguant avec lui son lot de fantômes. Sans jamais nous connaître explore notre rapport à la mort, au passé, à l’isolement et à l’intimité. Parce qu’Andrew Haigh y use du surnaturel, guidant le spectateur dans la psyché d’Adam, cet orphelin adulte mais inconsolable qui va à la rencontre de ses parents disparus, on pense à Petite maman (2021), de Céline Sciamma, où l’héroïne, petite fille, convoque l’avatar de sa propre mère au même âge.

« Il y a sans doute une connexion avec Petite maman, concède Andrew Haigh, bien que j’aie vu le film quand l’écriture du mien était déjà bien avancée… Céline Sciamma et moi avons à peu près le même âge, et vient un moment dans la vie où on a envie de revenir en arrière et de comprendre la relation que nous avons eue avec nos parents. » Le réalisateur, à travers son scénario onirique, introduit cependant une idée supplémentaire magnifique : disparus soudainement, les parents d’Adam ont fait un orphelin mais ont dû eux aussi faire le deuil de ce garçon qu’ils ne verront pas grandir.

Une communauté de survivants

Andrew Haigh a 50 ans. Il vit à Londres, avec son mari écrivain, Andy Morwood, et leurs deux petites filles, et se plie au jeu de la promotion avec un entrain singulier (« Cela n’aurait aucun sens de faire un film qui s’appelle Sans jamais nous connaître et de ne pas aller à la rencontre des gens qui, justement, s’y reconnaissent ! »). D’autant que ce film est une manière pour lui de se raconter. Les scènes où Adam va retrouver ses parents à Croydon, en banlieue de Londres, ont été tournées dans la maison familiale où le cinéaste a vécu jusqu’à ses 9 ans.

« Mes parents sont toujours vivants mais, me retrouver dans ce lieu, c’était comme être dans une maison hantée par mes souvenirs », observe-t-il. Les souvenirs sont ceux d’une enfance et d’une adolescence queer dans les années 1980, avant un coming-out tardif, autour de 25 ans. Un temps où le jeune garçon gay qu’il était grandit dans l’idée « que tout le monde vous détesterait et que vous alliez probablement mourir si vous décidiez de vivre une vie homosexuelle ».

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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