OCS – MERCREDI 20 NOVEMBRE À 20 H 50 – FILM
Une plage des Côtes-d’Armor, à marée basse, couverte d’algues gorgées de chlorophylle. C’est beau, et ça rappelle les photos qu’on prend à la fin de l’été. Mais, vu de près, le paysage perd de sa splendeur, et on se retrouve devant des kilomètres de ce qui ressemble à des tas de salades pourries. A partir de la bande dessinée Algues vertes. L’histoire interdite (Delcourt, 2019), Pierre Jolivet reconstitue l’enquête de la journaliste Inès Léraud (également autrice de la BD avec Pierre Van Hove et coscénariste).
En préambule, l’explication scientifique donnée par le médecin urgentiste qui a lancé l’alerte : les algues vertes ne représentent aucun danger pour la santé lorsqu’elles sont en mer ou déposées depuis peu, en petite quantité, sur le sable. En revanche, lorsqu’elles s’accumulent et se décomposent, elles dégagent de l’hydrogène sulfuré, un gaz nocif qui sent l’œuf pourri. En deux mots, elles tuent.
A l’efficacité narrative, Pierre Jolivet, dont on connaît la conviction sociale depuis ses débuts, il y a trente ans, propose une description rigoureuse des manœuvres de l’agriculture industrielle à partir des années 1960. Il révèle la douloureuse position des paysans, qui tiennent à leur activité, mais dépendent des grands groupes, dont ils sont aussi les victimes.
Goût du polar
Un joggeur est mort. Des sangliers et un cheval aussi. Des éprouvettes ont disparu des laboratoires, des rapports d’autopsie ont été égarés, des jeux d’influence se nouent, une omerta généralisée se répand… Dans la veine des fictions militantes, l’intrigue produit un rapport somme toute classique entre l’observation des arcanes du pouvoir, la mise en péril de la vie privée des investigateurs et le goût du polar…
En miroir, le film ausculte le milieu de la presse (ici, la radio) tel qu’il peut être soumis à des pressions financières. Que peut la passion d’une journaliste qui veut changer le monde depuis que sa mère a été victime d’une pathologie due à la composition de ses plombages dentaires, lorsque le support pour lequel elle travaille est menacé de perdre ses subventions ?
Au-delà de l’enquête, le charme du film doit beaucoup au couple soudé d’Inès Léraud (incarnée par Céline Sallette), journaliste pigiste, et de sa compagne, Judith (Nina Meurisse), professeure de philosophie contractuelle. De cette double précarité, le film tire sa force : il présente les deux femmes comme des outsiders capables de rivaliser avec les grandes compagnies, puisque, précisément, elles n’ont pas grand-chose à perdre. Elles quittent Paris, emménagent dans une maison de famille au cœur d’un hameau du centre de la Bretagne. Une Bretagne énigmatique, qui donne chair à ce polar.
Les Algues vertes, de Pierre Jolivet (Fr., 2023, 107 min). Avec Céline Sallette, Nina Meurisse.
Source du contenu: www.lemonde.fr