PEINTURE. « Le Livre des ombres », sous la direction d’Alix Paré
Etrange objet que Le Livre des ombres, ouvrage collectif sous la direction de l’historienne d’art Alix Paré. Les éditions du Chêne, qui le publient, n’ont pas ménagé leurs efforts pour qu’il ait l’air effrayant à souhait, jusqu’à cette citation du poète Percy Bysshe Shelley (1792-1822) imprimée en gris sur ses tranches noires : « Ton sort est fixé, si sombre qu’il soit ; tout changement ne ferait que l’aggraver. »
Nous voilà prévenus et, puisque nous sommes prédéterminés – mais cela, on le savait déjà du temps (IIe siècle) de Lucien de Samosate : à quoi bon vénérer les dieux puisque notre destin est filé par les Parques ? –, nous pouvons l’ouvrir sans crainte. Que peuvent contre nous les démons, lutins, farfadets, fantômes, sorcières et autres banshees évoqués (ou invoqués) ici ?
L’ouvrage est divisé en huit « livres », le dernier contenant les annexes. Chacun des sept premiers étudie une ou plusieurs œuvres peintes, extraites d’un corpus qui s’échelonne des années 1790, avec les prémices du romantisme, aux années 1910, avec la fin du symbolisme. Mais aussi les inspirations littéraires dont elles peuvent découler. Le tout est analysé par « l’œil de l’expert », un différent pour chaque chapitre. Une construction assez complexe, certes, mais bien ordonnée et claire : il fallait bien cela pour contenir tous ces diablotins.
On commence par un élément qui trouble les animaux comme le sommeil des humains : la Lune. A défaut d’y avoir déjà posé le pied, on la dévore des yeux. On l’étudie, on tente de la cartographier, on la peint, elle ou la lueur spectrale qu’elle diffuse et les rêveries qu’elle engendre. Elle suscite de nombreuses représentations, souvent allégoriques, fréquentes occasions pour les artistes de peindre des dames toutes nues alanguies sur leur lit de nuages.
Les romantiques préfèrent se représenter eux-mêmes la contemplant, ou restituer les pâles lumières ou les ombres subtiles qu’elle provoque, en choisissant de préférence des lieux adaptés : châteaux abandonnés, forêts aux arbres dénudés par l’hiver, et, nec plus ultra, cimetières… Les poètes aussi s’en emparent (ah ! Lamartine et son « astre au front d’argent » !), même si certains, comme Baudelaire, ironisent sur cette « nourrice empoisonneuse de tous les lunatiques ».
Le livre II, qui traite des charmes, est plus réjouissant car il y est question d’envoûtements. Fées et magiciennes sont à la fête, les héros mâles, surtout quand ils sont jeunes et beaux, à la peine. Fantasme d’autrefois, les femmes sont nécessairement « fatales », de Circé qui transforme les marins en bêtes (enfin, ceux que les sirènes n’ont pas déjà noyés) à Méduse dont le regard pétrifie, sans oublier Viviane, la fée qui ensorcelle même Merlin l’Enchanteur. La plupart sont pourvues d’une abondante chevelure rousse, comme Judas l’Iscariote.
Il vous reste 79.82% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
Source du contenu: www.lemonde.fr