CRITIQUE – La comédienne bouleverse le public du théâtre du Vieux-Colombier avec Le Silence, la pièce singulière de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan. On sort du théâtre troublé et bouleversé.
On n’a jamais vu un spectacle aussi singulier que celui-ci. Un ouvreur demande aux spectateurs des premiers rangs de cacher leurs sacs sous le siège et de ne pas caresser le chien (Miki). Inspirée de l’œuvre et des écrits de Michelangelo Antonioni, la pièce de Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan, (la cousine de la chanteuse Zaho de Sagazan) ne commence pas comme les autres.
La salle du Vieux-Colombier sert d’écrin à un confortable salon salle à manger installé au milieu d’un dispositif bifrontal. Le plateau recouvert d’une épaisse moquette verte est surmonté d’un écran géant qui projette des images de mer agitée, de terres qui s’effondrent et d’immenses étendues désertiques. Le Silence est une pièce qui sort de l’ordinaire, quasiment sans paroles et montée comme un long plan-séquence.
On a d’abord la vague impression d’assister à une scène de ménage. Ni la femme (Marina Hands prodigieuse), ni l’homme (parfait Noam Morgensztern) ne parlent. Pieds nus, elle fait mécaniquement rebondir une balle de tennis, essaie, sans insister, d’attirer l’attention du chien, avale des verres d’alcool fort comme David Hemmings dans Blow-Up d’Antonioni (1966).
Son mari range les commissions qu’il vient d’acheter, s’assied et regarde fixement devant lui. Abattu, prostré. Les larmes coulent sur leur visage, sans bruits. La sœur de l’homme (Julie Sicard) déplace des cartons de vêtements et de jouets. Des détonations brisent le silence, font sursauter les personnages et la salle. On ose à peine respirer.
La mère de l’homme (Nicole Garcia) laisse un message sur la boîte vocale. Elle peut aider, qu’ils n’hésitent pas à la solliciter. Un proche (Stéphane Varupenne) sonne à la porte, murmure un simple «bonjour» avant de retirer sa veste, serre l’homme dans ses bras sans prononcer d’autre mot, puis aspire une bouffée de cigarette électronique.
«J’aimerais que les spectateurs ne soient pas attentifs mais disponibles», a déclaré Antonioni. Comme le personnage de Baptiste Chabauty qui fixe le public des deux côtés, ces derniers sont les témoins impuissants d’une douleur qui pousse le couple aux frontières de la folie. On comprend que nous sommes face à un couple en deuil.
Elle gémit, se mord les lèvres, plante ses dents dans une balle de tennis. On se souvient de la scène de la partie de tennis imaginaire et mimée de Blow-up. Hagard, la tête dans les mains, son conjoint retient ses cris. Des éclats de vie surgissent trop rarement. À travers le chien qui suit sa maîtresse. Celle-ci va se changer. Son compagnon l’invite à se rapprocher de lui. Ils s’enlacent, mais la souffrance revient, insoutenable. Lourd de non-dits, le silence qu’instaurent Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan tue à petit feu. On sort du théâtre troublé et bouleversé.
NOTE : Jusqu’au 10 mars, théâtre du Vieux-Colombier Paris 6e. Loc. : 01 44 58 15 15
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