Les premiers résultats des élections aux chambres d’agriculture semblent confirmer une percée de la Coordination rurale (CR) dans un paysage toujours dominé par l’alliance majoritaire de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et des Jeunes Agriculteurs (JA), selon des données provisoires émanant des préfectures, des chambres d’agriculture et des syndicats, jeudi 6 février au soir.
L’alliance FNSEA-JA a revendiqué une « victoire » « sans triomphalisme », et pris acte du « basculement d’une quinzaine de chambres d’agriculture ». Constatant le « recul des listes FNSEA-JA », le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, affirme toutefois que les listes FNSEA-JA ont remporté « plus de 80 % des chambres d’agriculture départementales », restant ainsi « la première force syndicale du monde agricole ».
Ce recul « nous oblige à la lucidité quant aux enseignements de ce scrutin. Car ce soir, indéniablement, une colère s’est exprimée. Ce vote de la colère a prospéré sur les promesses non tenues depuis près d’un an par les pouvoirs publics, alimentant ainsi un sentiment d’abandon », a-t-il lancé, regrettant la lenteur de la concrétisation des mesures de soutiens promises par les gouvernements successifs. « Force est de constater que dans les territoires où les difficultés s’accumulent, des agriculteurs n’ont plus foi en l’avenir. (…) Pour nous, la colère n’est pas un projet. Ce n’est pas elle qui donnera envie aux jeunes de s’installer », a-t-il dit, renvoyant le vote pour la Coordination rurale à un phénomène contestataire.
La CR avait appelé à un vote dégagiste contre la FNSEA
De son côté, la Coordination rurale a revendiqué en début de soirée, jeudi, « une victoire historique » dans un communiqué, affirmant avoir « progressé dans tous les départements ». « Les agriculteurs ont dit stop à la cogestion, responsable de la disparition d’un million de vaches et de 150 000 fermes en dix ans », s’est réjouie l’organisation.
Selon des résultats provisoires rapportés par les chambres d’agriculture, les « bonnets jaunes » de la CR, qui ont appelé à un vote dégagiste contre la FNSEA, ont remporté une majorité des voix parmi les chefs d’exploitation dans au moins quatorze départements, dont le Cher, les Ardennes, la Lozère, la Charente, l’Indre-et-Loire et le Gers. Dans son fief du Lot-et-Garonne, la CR triomphe avec près de 70 %, tout en conservant ses deux autres bastions, la Vienne et la Haute-Vienne.
En Gironde, où la CR revendique la victoire avec six voix d’écart sur la liste FNSEA-JA, le président de la FDSEA, Jean Samuel Eynard, accusait le coup : « Les agriculteurs de Gironde ont fait leur choix… Nous avons trois élus », contre douze à la CR du fait du mode de scrutin favorisant la liste arrivée en tête.
En glanant une majorité des chambres départementales en Nouvelle-Aquitaine, la CR pourrait par ailleurs remporter la chambre régionale en mars : ce serait la première en France à échapper au couple FNSEA-JA.
La liste indépendante de Jérôme Bayle en tête en Haute-Garonne
En fin d’après-midi, l’alliance FNSEA-JA semblait, elle, l’avoir emporté dans plus d’une quarantaine de départements, dont ses fiefs historiques du Nord, de Bretagne, mais aussi dans les Alpes-Maritimes, la Loire ou le Rhône, selon des résultats provisoires publiés par les chambres d’agriculture et le site spécialisé Terre-net.
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La Confédération paysanne, syndicat qui plaide pour sa part pour une « réelle transition agroécologique », pourrait, elle, s’imposer en Ardèche, selon les résultats provisoires publiés par les chambres d’agriculture.
En Haute-Garonne, c’est la liste indépendante soutenue par Jérôme Bayle, figure de proue du mouvement de protestation des agriculteurs début 2024, qui s’est imposée devant l’alliance majoritaire sortante, selon les résultats annoncés par la préfecture. « Le monde agricole a besoin de changement. On veut casser le système. Il y a une fracture entre le terrain et le syndicalisme. Nous sommes une région oubliée, on ne se sentait plus représentés », a déclaré à l’Agence France-Presse l’éleveur, dans ce département durement frappé par la sécheresse et les maladies animales.
Il y a six ans, moins d’un agriculteur sur deux avait voté, et l’alliance FNSEA-JA avait vu son hégémonie confortée. Cette dernière s’était retrouvée, avec 55,55 % des voix, à la tête de 97 chambres sur 101, tandis que la CR (21,5 % des suffrages) n’en détenait que trois. Avec 20 % des voix, la Confédération paysanne n’en avait qu’une, Mayotte, qu’elle conserve pour le moment, le scrutin y ayant été reporté après le cyclone Chido.
Avec ces élections, quelque 2,2 millions d’électeurs, dont près de 400 000 chefs d’exploitation, mais aussi des retraités, des salariés ou des propriétaires fonciers, étaient appelés à élire leurs représentants – par voie électronique ou postale – du 15 au 31 janvier.
Les résultats définitifs attendus vendredi ou samedi
Les opérations de dépouillement ont débuté, jeudi, dans la plupart des départements, mais certaines préfectures, notamment en Corse ou dans le Cantal, ne proclameront les résultats que vendredi. Le ministère de l’agriculture communiquera de son côté le verdict des urnes une fois l’ensemble des résultats départementaux proclamés, pas avant vendredi, voire samedi.
Dans la dernière ligne droite, les syndicats ont tous dénoncé des « dysfonctionnements » voire des « irrégularités », laissant présager de nombreux recours. La FNSEA, qui s’affichait confiante, a reconnu une campagne dure, marquée selon un cadre du syndicat par un « populisme » et une forme de « radicalisation » imprégnant l’ensemble de la société.
La campagne a été rude, de l’avis de l’ensemble des syndicats. Les « bonnets jaunes » de la CR, adeptes des opérations coup de poing, avaient dénoncé sans relâche la FNSEA, accusée d’une « catastrophique cogestion avec l’Etat ». Porteurs d’un discours antinormes, réclamant la suppression de l’Office français de la biodiversité (OFB), ils espéraient « renverser la table » et ravir dix à quinze chambres d’agriculture, ce qui semble être le cas.
Acteurs clés, les chambres d’agriculture sont des établissements publics qui conseillent et offrent des prestations aux exploitants, tout en représentant les intérêts du secteur auprès des pouvoirs publics.
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