Le gouvernement irlandais fait face à un étrange problème, particulièrement vu de France : en présentant son budget 2025, mardi 1er octobre, il doit décider comment dépenser… son excédent. Non seulement Dublin n’a pas de déficit, mais il déborde de recettes fiscales. Cette année, l’excédent devrait atteindre environ 9 milliards d’euros, soit autour de 3 % du produit intérieur brut (PIB).
Et encore faut-il ajouter à cette manne un extraordinaire cadeau tombé du ciel. Le 10 septembre, la Cour de justice de l’Union européenne a condamné en dernière instance Apple à verser à l’Irlande 13 milliards d’euros d’arriérés d’impôts. En incluant les intérêts accumulés depuis le début du procès, en 2016, cela représente l’équivalent de 14 % du budget de l’Etat.
Sans surprise, cet afflux d’argent provoque une multiplication des revendications, d’autant que des élections législatives sont attendues dans les mois qui viennent – peut-être dès novembre. Le Sinn Fein, le premier parti d’opposition, appelle par exemple à des investissements massifs dans le logement. Le ministre des finances, Jack Chambers, promet de son côté que chaque travailleur bénéficiera du budget à hauteur de 1 000 euros par personne.
L’origine de ce surplus
En revanche, les débats politiques évitent soigneusement d’évoquer l’origine de ce surplus : les impôts sur les sociétés, essentiellement ceux des multinationales américaines. En 2024, les recettes pourraient atteindre 30 milliards d’euros, presque un triplement depuis 2019, la moitié étant payée par seulement dix entreprises. Cela représente près du tiers de toutes les recettes fiscales irlandaises ; en France, l’impôt sur les sociétés ne compte que pour 12 % des recettes.
Le problème est que ce spectaculaire succès vient pour partie d’argent « détourné » du reste de l’Europe. Tax Justice Network, une association de lutte contre l’évasion fiscale, calcule pour Le Monde que les multinationales ont transféré artificiellement vers l’Irlande, en 2021, 130 milliards de dollars de profits (116,5 milliards d’euros). De quoi faire perdre 32 milliards de dollars de recettes fiscales aux autres pays de l’Union européenne (UE), dont 3,3 milliards à la France.
Inversement, profitant de l’imposition plus faible, les multinationales ne versent sur ces bénéfices transférés en Irlande que 13 milliards de dollars d’impôts. « Cela signifie que, pour chaque dollar de recette fiscale gagné par l’Irlande, cela coûte 2,50 dollars en recettes perdues dans le reste de l’Union européenne », détaille Alison Schultz, qui a réalisé ces calculs.
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Source du contenu: www.lemonde.fr