Dans une couverture célèbre de la fin des années 1980, le magazine The Economist avait représenté un sumo qui tenait dans sa main un petit Oncle Sam, en lui disant : « Maintenant, je suis plus grand que toi. » Le temps est bien loin de ce rêve de suprématie. La publication des statistiques de l’économie japonaise, jeudi 15 février, révèle une réalité plus cruelle. Non seulement l’empire du Soleil-Levant n’a pas dépassé les Etats-Unis, mais, après avoir été surclassé en 2010 par la Chine, il l’est aujourd’hui par l’Allemagne.
Le produit intérieur brut (PIB) du Japon, converti en dollars, s’est établi pour 2023 à 4 200 milliards de dollars (3 900 milliards d’euros), celui de l’Allemagne, à 4 500 milliards de dollars. De plus, après une chute de son PIB de 2,9 % au troisième trimestre 2023, puis de 0,4 % le trimestre suivant, l’archipel nippon est techniquement entré en récession (deux trimestres consécutifs de baisse).
Ces chiffres sont en trompe-l’œil. L’écart soudain est dû à la conjonction d’une inflation beaucoup plus forte en Europe, qui a gonflé le PIB allemand, et de la faiblesse du yen, qui désavantage la comparaison en dollars. Cela n’enlève rien aux difficultés actuelles du Japon, mais relativise la performance germanique. Car Berlin n’est pas plus en forme que Tokyo. Hors inflation, le PIB de l’Allemagne chute de 0,3 %, alors que le Japon progresse de 1,9 %.
Plans de relance
En fait, les deux pays sont victimes des mêmes difficultés conjoncturelles. Jusqu’à l’émergence de la Chine, ces deux champions de l’export dominaient les échanges internationaux grâce à leur tissu industriel dense, formé de grands conglomérats et d’une myriade de petites et moyennes industries très dynamiques. Tous deux ont largement profité de l’émergence de l’empire du Milieu, l’abreuvant de machines de pointe et de voitures de luxe. Ils souffrent aujourd’hui du ralentissement chinois, des tensions géopolitiques et d’un coût de l’énergie qui grève la compétitivité de leurs entreprises.
Une différence majeure les sépare néanmoins : la monnaie. Berlin est le gardien d’une orthodoxie budgétaire qui, à elle seule, assure la solidité de l’euro et offre plus de marge de manœuvre à la Banque centrale européenne pour monter ou baisser ses taux. Le Japon, lui, pour sortir de la crise immobilière des années 1990, a noyé le pays sous la dette finançant des plans de relance.
Tant que celle-ci était détenue par les ménages nippons, le système pouvait fonctionner en circuit fermé, au détriment du pouvoir d’achat des consommateurs et de leur épargne. Désormais, avec le vieillissement de la population, c’est la banque centrale du Japon qui finance elle-même l’essentiel de la dette de l’Etat et ne parvient plus à sortir des taux négatifs qui affaiblissent sa monnaie. Un piège mortifère.
Source du contenu: www.lemonde.fr