« Les achats d’armement sont décidés en fonction du poids des coalitions des acteurs des programmes militaires »

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Alors que la France s’est lancée dans un programme de réarmement, il n’est pas inutile de savoir comment l’Etat a, par le passé, équipé ses forces armées de chars, d’avions, de missiles, de munitions… Samuel Faure, maître de conférences à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye (universités Paris-Cergy et Paris-Saclay), étudie, depuis 2010, les programmes menés depuis 1945, dépouillant documents administratifs et parlementaires, interrogeant près de 200 acteurs (militaires, ministres, industriels, ingénieurs de l’armement, etc.).

Exposant le fruit de ses recherches, le 3 avril, lors du séminaire « Bureaucratie(s) et managérialisme du capitalisme français » (université de technologie de Compiègne-Sciences Po), le chercheur expliquait que la politique de l’Etat français dans ce secteur oscille historiquement entre trois pratiques : l’achat aux industriels nationaux, selon une logique de souveraineté nationale et… de captation de la rente (pour les industriels concernés) ; l’achat « sur étagère » à l’étranger – essentiellement américain –, selon une logique libérale de mise en concurrence et de baisse des prix ; la coopération européenne, selon une logique politique de construction institutionnelle d’une souveraineté européenne.

Ces trois pratiques se mélangent, se superposent, l’une l’emportant sur l’autre, selon les cas ; la souveraineté nationale pour le Rafale, la coopération européenne pour l’A400M, l’achat américain pour le drone Reaper. Au-delà de la prise en compte des évolutions géopolitiques et économiques, les décisions sont prises en fonction du poids des coalitions sociopolitiques que forment les « acteurs programmatiques » engagés selon leurs intérêts et leurs logiques propres, parfois divergentes, parfois convergentes : ministres, hauts fonctionnaires, états-majors, militaires haut gradés, industriels, ingénieurs de la direction générale de l’armement (DGA). Ces « configurations d’acteurs », qui ne laissent guère de place aux parlementaires, sont complexes, car les positions au sein d’un même corps, institution ou entreprise, varient selon les individus au fil des carrières menées dans les champs politiques, bureaucratiques, techniques, capitalistiques.

Face à la concurrence américaine

Deux grandes tendances se dessinent toutefois. Premièrement, l’Etat et l’industrie nationale se désencastrent progressivement au fur et à mesure que les logiques « libérales » – et les difficultés budgétaires – l’emportent au détriment des logiques « souverainistes ». A force de privatisations, la DGA ne compte plus que 10 000 fonctionnaires aujourd’hui contre 50 000 au milieu des années 1990.

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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