Les magistrats financiers chiffrent à au moins 50 milliards d’euros les économies nécessaires pour tenir les objectifs de déficit public d’ici 2027.
«Le projet de loi de finances pour 2025 sera le plus brutal depuis la crise financière. Il va falloir du courage politique et de l’intelligence.». À l’occasion du rapport annuel de la Cour des comptes, ce mardi, son premier président Pierre Moscovici annonce la couleur. Et elle est loin d’être gaie. «La situation des finances publiques est préoccupante, voire au-delà», s’inquiète l’ancien ministre de l’Économie.
Depuis le début de l’année, le tempo de la valse des milliards d’économies à faire pour tenir les engagements de réduction de déficit s’accélère, pour un gouvernement qui commence à avoir du mal à suivre le rythme. L’annonce du plan de 10 milliards de gel de crédits pour 2024 par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, il y a moins d’un mois, a été embrayée par celle de son ministre délégué au Budget, Thomas Cazenave, qui table sur 20 milliards de coupes nécessaires en 2025 (au lieu des 12 initialement annoncés) pour tenir les objectifs dans le budget de l’an prochain, qui sera présenté en septembre.
Un objectif «optimiste, voire difficilement atteignable»
Moins d’une semaine plus tard, ce mardi donc, la Cour des comptes renchérit en calculant dans son rapport annuel que, d’ici 2027, l’ensemble des tailles dans les dépenses devra atteindre 50 milliards si le gouvernement veut tenir sa promesse de passer le déficit sous la barre des 3% en 3 ans. «Il y a un an, nous disions déjà qu’il fallait faire 50 milliards d’économies pour tenir notre trajectoire pluriannuelle. Aujourd’hui, nous avons toujours besoin de ces 50 milliards -voire un peu plus-, alors que rien n’a été fait en 2023. Nous venons de passer une année blanche sur la réduction du déficit », fustige Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, qui se désole : «notre trajectoire budgétaire à horizon 2027 n’était déjà pas flamboyante, voilà qu’on l’entame sur un faux départ».
En 2023 l’ambition du gouvernement était de contenir l’augmentation du déficit à 4,9% du PIB après 4,7% en 2022. Cet objectif sera, de l’aveu même de Bruno Le Maire, «significativement» dépassé (le verdict de l’Insee est attendu pour fin mars), notamment à cause de recettes fiscales 7,7 milliards en deçà des attentes. La marche sera ainsi «d’autant plus haute» pour l’année 2024 qui devait voir le déficit reculer à 4,4%. Cet objectif est aujourd’hui jugé «optimiste, voire difficilement atteignable» par la Cour, même en tenant compte du plan d’économies de 10 milliards récemment décrété. À noter, d’ailleurs, que depuis la révision de sa prévision de croissance pour 2024 (abaissée de 1,4% à 1%), le gouvernement n’évoque plus cet objectif.
Charge de la dette
Pour s’éviter un dérapage trop sévère, Bercy envisage très sérieusement de faire passer au parlement un projet de loi de finances rectificative (PLFR) après les élections européennes afin de supprimer encore des crédits pour l’année en cours. Dans tous les cas, le gouvernement sera contraint de trouver en 2024, les coupes budgétaires qu’il doit réaliser pour l’année prochaine. «Faire 20 milliards d’économies, c’est très compliqué, juge Pierre Moscovici. Mais, en tout état de cause, le gouvernement ne peut pas ne peut pas ne pas le faire. Ça risque d’être brutal parce que cela n’a pas été fait avant. Il va falloir du courage politique et de l’intelligence».
Si le gouvernement est à ce point au pied du mur, c’est notamment à cause de la charge d’intérêts de la dette (qui devrait culminer aux abords de 3200 milliards à la fin de l’année, selon la Cour) qui explosent avec une augmentation de 10 milliards prévue en 2024. «Les économies seront d’autant plus difficiles à réaliser que la charge de la dette augmente», commente le premier président. Entre les inquiétudes sur la notation de la France et celles sur le climat politique, «on oublie de parler de l’acteur principal dans cette histoire : le marché», souligne Pierre Moscovici.
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La situation la plus dégradée de la zone euro
Le gouvernement, pour respecter sa trajectoire budgétaire, va devoir nager contre un fort courant -celui de la hausse des dépenses publiques qui continuent de progresser nettement en 2024, sous l’effet du budget de l’État qui affiche plus de 3,1% de hausse et de celui de la sécurité sociale attendu à 2% de croissance notamment à cause de l’indexation des retraites et prestations sociales (pour un coût évalué à 25 milliards) et de dépenses de santé également en hausse. Or, la maîtrise de la dépense publique promise par l’exécutif, «nécessitera la réalisation d’efforts considérables» dès cette année, «contrairement à ce qui était prévu» dans la loi de finance, tacle la Cour des comptes qui juge que la stratégie gouvernementale «doit être mieux étayée». «Pour 2024, il faut identifier les 10 milliards de crédits qui seront annulés et pour 2025, il faut documenter les 20 milliards d’économies», résume Pierre Moscovici. Pour ce deuxième défi, Bercy ne cesse de renvoyer l’identification des futures économies à la «revue des dépenses» qui rendra ses conclusions dans les prochaines semaines. Mais, un an après son lancement, la Cour juge sévèrement ce dispositif qui affiche un bilan «décevant» pour son premier exercice.
«Au-delà des seules revues de dépenses, l’effort d’économie nécessaire devra préserver les dépenses de nature à soutenir durablement l’activité économique», ajoute-t-elle. Car les marges de manœuvre économiques et budgétaires du gouvernement sont, pour ainsi dire, inexistantes, selon l’institution. «Toute mauvaise surprise macroéconomique dès 2024 ou toute réalisation budgétaire en deçà des ambitions affichées ferait s’écarter de la trajectoire», c’est-à-dire de l’objectif de revenir sous les 3% en 3 ans, prévient le rapport. Par exemple, dès 2024, si la croissance s’élevait seulement à 0,7% -un chiffre plus proche du consensus économique que la prévision du gouvernement-, cela se traduirait, toutes choses égales par ailleurs, par un déficit public de 3,1% du PIB en 2027, développent les experts de Cour.
Ce scénario serait une catastrophe pour la crédibilité européenne de la France qui, même si elle parvenait à tenir son objectif de réduction des déficits, «resterait parmi les pays les pays ayant la situation la plus dégradée de la zone euro», se désole Pierre Moscovici.
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