PFAS: «Nous avons sur le marché américain de nombreux produits chimiques qui ne sont pas sûrs»

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Selon une étude américaine publiée le 24 juillet dans la revue Environmental Health Perspectives, les per- et polyfluoroalkylées (PFAS) sont de plus en plus utilisés dans les pesticides aux États-Unis. Ces « polluants éternels » sont omniprésents dans notre quotidien, comme dans le textile, l’emballage alimentaire. Explications avec l’un des auteurs de l’étude, la biologiste Kyla Bennett, responsable des politiques scientifiques à l’ONG Agents publics pour la responsabilité environnementale.

RFI : Le principal résultat de votre étude indique une augmentation du nombre de PFAS parmi les principes actifs des pesticides. Comment peut-on expliquer cette tendance et vous inquiète-elle ?

Kyla Bennett : Aux États-Unis, au cours des dix dernières années, 30 % des ingrédients actifs des pesticides étaient des PFAS. C’est une augmentation significative puisqu’ils n’étaient que 14 % auparavant.

Cette tendance est effectivement mauvaise et inquiétante. Elle peut s’expliquer par le fait que les PFAS sont utiles – c’est indéniable – et omniprésents. Aux États-Unis, lorsque la Loi sur le contrôle des substances toxiques [TSCA, qui réglemente tous les produits chimiques fabriqués aux États-Unis, NDLR] a été promulguée en 1976, les produits chimiques déjà commercialisés (y compris de nombreux PFAS) bénéficiaient de droits acquis sans aucune évaluation de leur toxicité. Ils ont donc continué à être utilisés en toute impunité.

L’autre sujet, c’est que l’on commence à trouver des PFAS dans des pesticides, mais sans être des principes actifs. Ils sont en particulier présents dans les jerricans fluorés qui contiennent les produits et se dissolvent dans le pesticide. Or, ils sont beaucoup plus résistants dans le temps que les pesticides.

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À quoi servent ces PFAS dans les pesticides et sont-ils indispensables ?

La fluoration est utilisée pour modifier les attributs chimiques des pesticides. Elle leur permet d’abord une meilleure stabilité. Elle augmente ensuite leur efficacité. D’une part, parce qu’elle aide le produit et sa molécule active à pénétrer dans l’organisme nuisible [tels insectes, « mauvaises herbes », etc, NDLR]. D’autre part, puisqu’elle facilite une pulvérisation homogène sur un champ cultivé ou sur les feuilles d’une plante, par exemple. Enfin, ce procédé augmente l’activité résiduelle des ingrédients des pesticides.

Mais les PFAS ne sont pas indispensables au fonctionnement des pesticides. Comme déjà mentionné, 30 % des pesticides récemment homologués sont des PFAS, ce qui signifie que les 70 % restants ne le sont pas. Nous disposons donc de nombreuses options de fabriquer des pesticides qui ne sont pas des PFAS.

Quels sont les risques associés ?

Additionner PFAS et pesticides, c’est une double peine en quelque sorte, parce que vous multipliez les effets sur la santé. La différence, c’est que les PFAS subsistent très, très longtemps dans l’organisme et dans l’environnement, par rapport aux pesticides. 

La fluoration modifie la lipophilie, c’est-à-dire la dissolution des lipides, les graisses composantes de la membrane qui isole les cellules des êtres vivants. Les PFAS peuvent ainsi altérer la perméabilité de la membrane et permettre aux pesticides de s’infiltrer dans les cellules et de les tuer. Certains sont cancérogènes, d’autres attaquent le système immunitaire, le développement du corps, le cœur, les genoux et divers organes.

Ce recours aux PFAS doit absolument s’arrêter. L’une des pires choses que l’on puisse faire, c’est d’asperger nos cultures, nos maisons, notre eau de pesticides qui contiennent ces substances.

En novembre 2023, deux ONG européennes spécialisées révélaient que 12 % des principes actifs des pesticides utilisés dans l’UE sont aussi des PFAS. Depuis quand l’usage des PFAS comme principes actifs de pesticides est connu aux États-Unis ?

Les PFAS ont été découverts à la fin des années 1930 et sont devenus populaires dans les années 1950 et au-delà. Toutefois, cela ne signifie pas que le public ou les organismes de réglementation étaient conscients des dangers à ce moment-là. Par exemple, l’EPA [l’Agence environnementale de l’environnement, NDLR] n’a pris conscience des dangers du PFOA [l’un des principaux PFAS, un composé chimique utilisé pour la fabrication de matières plastiques ou des ustensiles anti-adhésifs, classé comme cancérogène par le CIRC] qu’en 1998.

Je ne sais pas quand les PFAS ont commencé à être ajouté aux pesticides, mais au moins depuis les années 1980. Ensuite, j’ai découvert en 2020 qu’il y avait des PFAS dans un pesticide. En l’occurrence, un produit anti-moustique, l’Anvil 10+10.

Les PFAS utilisés dans la plupart des pesticides de nos jours sont différents des anciens PFAS. De plus, il n’y a pas de définition uniforme des PFAS : selon l’Agence américaine, il y en a 14 000, mais selon l’OCDE, plus d’un million. Et nous avons la connaissance de la toxicité que d’une douzaine d’entre eux.

Cette hausse va-t-elle de pair avec un usage lui aussi accru de pesticides aux États-Unis ?

Les derniers chiffres dont nous disposons sur l’utilisation des pesticides datent de 2021 : rien qu’aux États-Unis, environ 450 millions de kg d’ingrédients actifs de pesticides ont été appliqués sur environ 5,3 millions de kilomètres carrés cumulés de traitements de terres agricoles à travers le pays.

L’utilisation de pesticides aux États-Unis est en déclin après avoir atteint un sommet dans les années 1990. Mais à mon avis, on en utilise encore trop. Je pense que l’augmentation de l’utilisation des PFAS comme ingrédients actifs dans les pesticides n’est pas due à une utilisation accrue des pesticides, mais parce qu’ils sont utiles dans les pesticides et que l’EPA n’y prête pas attention.

Y a-t-il des mesures réglementaires prises au niveau des États ou au niveau fédéral pour réguler les produits chimiques, notamment les PFAS, comme le règlement REACH dans l’Union européenne ?

À l’échelon fédéral, l’EPA réglemente les produits chimiques, mais elle ne fait pas du bon travail. Son échec à réglementer les PFAS en tant que classe de produits chimiques entraîne l’utilisation de milliers de produits dangereux. Les conséquences, c’est que nous avons aujourd’hui sur le marché de nombreux produits chimiques qui ne sont pas sûrs. L’EPA est pourtant parfaitement consciente que les PFAS sont dangereux. Donc continuer d’approuver les PFAS comme ingrédients actifs va à l’encontre de toutes les données dont nous disposons.

Des États réglementent, eux aussi, les produits chimiques. Certains légifèrent de manière plus stricte que l’EPA (à l’inverse, les États ne sont pas autorisés à être plus laxistes que le gouvernement fédéral). En avril de cette année, l’EPA a publié les premières normes sur l’eau potable pour six PFAS, mais de nombreux États avaient mis en place des réglementations depuis des années. Des États commencent également à interdire les produits contenant des PFAS, y compris les pesticides, parce que l’EPA met trop de temps à agir.

Le secteur agricole aux États-Unis est-il traversé, comme en Europe, par une remise en question progressive de l’usage de ces produits, ou bien est-ce un non-sujet ?

Les ONG luttent depuis des décennies contre l’utilisation de pesticides aux États-Unis. De nombreux groupes et citoyens remettent en question l’utilisation de ces produits. Mais la très riche industrie chimique dépense beaucoup d’argent dans son lobbying auprès des politiciens. Il est donc difficile d’affronter réellement ces problèmes.

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Quelles sont vos recommandations ?

Nous en avons toute une série. Premièrement, il faut de cesser de fluorer les bidons en plastique des pesticides car cela dissout les PFAS dans le liquide. Ensuite, il est nécessaire d’inscrire sur les étiquettes tous les ingrédients contenus dans les pesticides, y compris les substances « inertes ». Les pesticides PFAS doivent en outre être évalués pour leur persistance dans l’environnement et remplacés par des alternatives non PFAS. Puis les États-Unis doivent en outre étendre la surveillance environnementale de ces PFAS présents dans les pesticides et recueillir des données sur leurs effets sur la santé humaine et l’environnement.

À ce titre, l’EPA doit cesser de renoncer aux études d’immunotoxicité. Et enfin, il faut étudier les effets cumulatifs de ces PFAS dans les pesticides. Toutes ces recommandations s’adressent au gouvernement fédéral, en particulier à l’Agence américaine de l’environnement.

Source du contenu: www.rfi.fr

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