Question d’environnement vous propose un reportage dans la vallée du Cauca, au sud-ouest de la Colombie. Autour de la ville de Cali, les plantations de canne à sucre s’étendent sur plus de 230 000 hectares. Cette herbe géante tropicale, qui stocke du saccharose dans ses tiges, sert à fabriquer du sucre, des acides pour l’agroalimentaire ou encore de l’éthanol pour les biocarburants. Née il y a plus de 150 ans, cette puissante agro-industrie, dont l’histoire est liée à l’esclavage et à la colonisation, est aujourd’hui le moteur économique de la région. Mais elle aussi très décriée pour son impact social et environnemental.
De notre envoyée spéciale à Cali,
Au nord-est de Cali, des champs de canne à sucre se dressent à perte de vue. Monté dans un calambuco, une sorte de calèche tirée par un tracteur qui servait autrefois à transporter les travailleurs de ces plantations, un guide promène une poignée de touristes. Au bout d’une parcelle, il pointe la végétation dense que l’entreprise sucrière Providencia a replanté le long de la rivière Amaime.
« Ce sont des zones que nous restaurons en plantant des arbres locaux, des bambous, des arbustes pour que cela attire les animaux de la région, indique à RFI Oriana Garcés, chargée de communication pour Asocaña, l’association qui regroupe les douze entreprises exploitant la canne à sucre dans la région. On parle de ‘corridors écologiques’ car ces petites franges de forêt viennent se connecter à d’autres reliquats de végétation : au bord des rivières, entre les terrains. On veut aussi les connecter aux zones humides, très importantes pour les oiseaux et les mammifères ».
Restauration écologique, conservation de bassins hydrographiques dans les montagnes autour, centre de recherche et d’innovation : les grandes familles historiques de la canne à sucre dans la vallée du Cauca assurent qu’elles ne lésinent pas sur les moyens pour réduire l’impact de leur activité sur l’environnement.
« Dans toutes nos cultures, nous utilisons des systèmes d’arrosage de haute technologie qui nous ont permis de réduire de 50 % la consommation d’eau ces dix dernières années, affirme Claudia Calero, présidente d’Asocaña. Cela fait plus de 40 ans que nous contrôlons les ravageurs de manière biologique, nous n’utilisons aucun pesticide ! Dans nos processus de production de l’éthanol par exemple, nous récupérons les vinasses, c’est-à-dire les résidus liquides de la distillation, pour fabriquer des engrais organiques pour nos champs. »
Un « monstre vert »
Tout cela laisse dubitatif Mario Pérez. Ce sont des « chants de sirène » pour « laver leur image », rétorque cet économiste à l’Institut Cinara de Cali et spécialiste de la canne à sucre.
Pour lui, qui parle d’un « désert vert » ou du « monstre vert » après des décennies de mauvaises pratiques, le secteur a une dette environnementale colossale. « En s’étendant dans la vallée, la monoculture de canne à sucre a détruit la forêt sèche tropicale, il ne reste que de tout petits morceaux de forêt. Et puis pour faciliter la coupe et augmenter la productivité dans les raffineries de sucre, on brûle encore la canne avant la récolte. C’est beaucoup moins le cas, mais cela se fait encore sur 40 000 hectares. C’est mauvais pour la biodiversité et les cendres causent des maladies respiratoires ».
Pour réduire l’impact de ces champs sur l’eau et la biodiversité, Mario Pérez se bat, avec des collectifs d’habitants et d’autres scientifiques, pour que les grands sucriers rendent 50 mètres de part et d’autre du gigantesque fleuve Cauca. Ce dernier est aujourd’hui en très mauvaise santé.
Au-delà des conséquences environnementales et sanitaires, ONG et communautés locales accusent les barons de la canne à sucre d’avoir aussi accaparé les terres au détriment d’abord des populations autochtones, puis de l’agriculture familiale des descendants d’esclaves. Une situation qui alimente de violents conflits jusqu’à aujourd’hui.
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