Questions d’environnement – Comment l’urbanisation aggrave les inondations en Inde?

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La dernière semaine du mois d’août, des pluies torrentielles se sont abattues sur le Gujarat, l’État le plus à l’ouest de l’Inde. Sa capitale culturelle, Vadodara, a été frappée par les pires inondations de son histoire : les vannes d’un barrage, qui menaçait de déborder, ont été ouvertes. Les flots ont fait sortir une rivière de son lit. Au moins 35 personnes ont péri dans les crues de plus de 3 mètres et des milliers d’habitants ont été déplacés.

Vadodara est habituée aux inondations. Tout au long de son histoire, vieille de près de 2 000 ans, la ville s’est développée en fonction de l’eau et des crues. Vadodara est traversée par la rivière Vishwamitri. Il y a plus de 130 ans, le barrage d’Ajwa a été construit en amont de la ville afin d’approvisionner ses habitants en eau douce dans cette région chaude qui en manque, sauf pendant la saison de la mousson qui dure de début juin à la fin août.

Durant des siècles, les constructeurs qui se sont succédé à Vadodara – qu’ils soient hindous, musulmans, moghols ou britanniques – ont respecté la rivière qui serpente à travers la ville ainsi que ses plaines alluviales, véritable ceinture verte large de plus d’un kilomètre en plein milieu de la cité. Mais depuis une vingtaine d’années, la pression démographique dans cette ville, qui compte aujourd’hui 2,5 millions d’habitants, et les intérêts de spéculateurs immobiliers ont fait chavirer cet équilibre précaire.

Hôtels et résidences construits dans les plaines alluviales

« La ceinture verte a connu de graves bouleversements », constate Sanjeev Joshi, architecte et urbaniste qui travaille à Vadodara. « Des résidences d’habitations y ont été construites, des gratte-ciels, des hôtels. Et tous sont devenus des obstacles pour l’eau qui ne pouvait plus s’écouler comme avant mais qui a débordé dans les quartiers résidentiels qui ont été construits à l’intérieur de ce qui fut la ceinture verte. Cela a déséquilibré l’ensemble de l’écosystème de la rivière. Les autorités n’ont pas pris en compte l’importance vitale de ces zones inondables qui, avant fonctionnaient comme des éponges pour la ville qui absorbaient l’eau en cas de crue. Leur végétation dense avait protégé pendant des siècles le lit de la rivière contre l’érosion, et les rives sur lesquelles s’étaient construits des quartiers. Mais en construisant dans cette zone de protection, on a complètement perturbé l’écologie naturelle. C’est pourquoi tout le monde parle maintenant d’une catastrophe causée par l’homme ».

La colère est en effet grande à Vadodara. Les syndicats ont lancé un appel conjoint au gouvernement du Gujarat afin que les travailleurs obtiennent des compensations pour les dommages considérables qu’ils ont subis. Nombre d’entre eux ont en effet perdu leurs outils dans les crues, mais aussi des précieux jours de travail, car les inondations les ont empêchés de se rendre à leurs postes. Les syndicats réclament aussi l’ouverture d’une enquête judiciaire sur les causes des inondations et des sanctions sévères pour les personnes coupables d’avoir contribué à la catastrophe.

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Le gouvernement du Gujarat sous pression d’agir

Sous pression, le chef du gouvernement du Gujarat a visité Vadodara le 29 août pour constater les dégâts. À cette occasion, Bhupendra Patel a promis un projet de restauration de la rivière Vishwamitri pour un montant de 1200 millions de roupies, l’équivalent de près de 13 millions d’euros. « Les inondations s’aggravent. Au mois d’août, elles ont touché des quartiers qui jusqu’ici avaient toujours été épargnés par les crues », constate l’urbaniste Sanjeev Joshi qui espère que le drame de cet été « poussera les autorités à enfin agir. Parce que ce qui se passe habituellement ici après une catastrophe, c’est que le gouvernement promet des changements. Mais une fois l’émotion de l’opinion publique retombée, il ne se passe rien ». En 2010, le gouvernement du Gujarat avait en effet déjà proposé un programme de renaturation similaire, mais il n’a jamais vu le jour. Et en mai 2021, le National Green Tribunal (le tribunal national vert, en français), en charge des affaires juridiques en Inde liées à la protection de l’environnement, avait ordonné aux autorités de Vadodara de restaurer la rivière Vishwamitri.

Le changement climatique rend la mousson plus intense

Les scientifiques alertent sur une intensification de la mousson due au changement climatique causé par les humains. Les pluies torrentielles, comme celles tombées la dernière semaine du mois d’août sur le Gujarat, seront de plus en plus fréquentes à l’avenir. Par conséquent, il est urgent d’agir pour endiguer les risques qui pèsent sur la population du Vadodara. Selon Sanjeev Joshi les solutions d’adaptation sont connues de tous. Elles sont aussi bien d’ordre technologique, comme « la construction d’un canal afin de dévier l’eau du barrage d’Ajwa vers une autre rivière en cas de pluies extrêmes », que basées sur la nature. “Nous devons restaurer la ceinture verte. Pour cela, nous devons enlever certaines des constructions que nous y avons implantées. Et ensuite, nous devons déclarer les lacs, les zones inondables, la rivière et ses affluents ainsi que les canaux “zones interdites” à la construction, en tant que zones écologiques essentielles“.

Selon une étude de l’université américaine Yale, neuf Indiens sur 10 se disent aujourd’hui profondément inquiets du réchauffement planétaire et de ses effets.« Nous ne pouvons plus nous permettre de jouer avec la nature », conclut Sanjeev Joshi. « Des projets d’urbanisation et de développement doivent désormais toujours aller de pair avec les considérations climatique et écologique ».

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Source du contenu: www.rfi.fr

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