Questions d’environnement – COP16 désertification à Riyad: pourquoi est-elle si mal nommée?

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La COP Désertification ne veut plus être isolée de ses sœurs climat et biodiversité, toutes trois créées il y a trente ans, en 1992 au Sommet de la Terre à Rio. Après Cali et Bakou, c’est à Riyad que s’ouvre la 16e Conférence des Parties consacrée à la dégradation des terres. Cette fois, moins de 5 000 personnes sont attendues pour un rendez-vous bien moins médiatisé, et pourtant au confluent des deux autres. Voici ce qu’il faut savoir.

  • Désertification : trois causes principales…

Le nom abscons de cette COP est un problème en soi car il masque la réalité : la dégradation généralisée des terres du monde, qui touche 1,2 milliard de personnes, principalement dans les milieux arides, semi-arides et sub-humides secs. « Il s’agit d’un processus progressif de perte de productivité des sols et d’amincissement de la couverture végétale dû aux activités humaines et aux variations climatiques telles que les sécheresses et les inondations prolongées. Ce qui est alarmant, c’est que si la couche arable des terres peut être emportée par le vent et les eaux en quelques saisons si elle est maltraitée, il faut des siècles pour qu’elle se reconstitue », explique la Convention-Cadre de l’ONU sur la lutte contre la désertification (CNUCLD), qui encadre la COP du même nom.

Sans pour autant devenir des déserts, forme extrême de la dégradation, l’ONU estime à 40 % le nombre de terres dites dégradées. Non pas qu’elles ne soient plus utiles, ou utilisées, mais qu’elles ont été transformées et ne rendent plus les services écosystémiques naturels – à commencer par le captage du carbone émis dans l’atmosphère.

Le premier facteur, c’est le changement d’affectation des terres. Là encore, ce jargon désigne plus concrètement la déforestation et l’urbanisation, en général au profit d’une agriculture intensive, monoculture ou élevage. Moins de forêts, tropicales en particulier, c’est plus de réchauffement et plus d’assèchement des sols, encore plus affaiblis sur le long terme avec l’usage des produits de synthèses, conçus au XXe siècle pour augmenter la productivité. La géographe Blanca Prado travaille spécifiquement sur la dégradation des sols au Mexique. Au micro de Raphaël Moran, de la rédaction en espagnol de RFI, elle estime que 60% des sols du pays sont dégradés et elle a identifié deux facteurs principaux : « Les mauvaises pratiques agricoles et l’excès de pâturage en sont les principales causes. Au Mexique, pour l’agriculture, on a longtemps promu l’usage abondant d’engrais et de pesticides. Cela a provoqué la destruction des sols. Lors d’un travail de terrain dans la région du Chiapas par exemple, des paysans nous ont dit que pour préparer la terre, ils utilisaient un produit qui “tuait tout” contre les herbes. Ces mauvaises pratiques ont entrainé des baisses de rendements dans plusieurs régions du Mexique. »

Des forêts deviennent des agglomérations ou des parcs d’attractions, des marécages deviennent des zones industrielles ou des aéroports, des prairies sont métamorphosées en champs de monoculture ou de panneaux solaires… Souvent sous-tendue par de bonnes intentions (nourrir le monde, loger des populations…), l’artificialisation des sols engendrent de manière rétroactive des conséquences néfastes de plus en plus visibles. Si le bilan humain des inondations historiques en Espagne, le 29 octobre 2024, a été aussi lourd il y a un mois, c’est en grande partie à cause de la bétonisation qui a permis de déverser l’équivalent de 5400 piscines olympiques en quelques heures dans les rues.

► Pour comprendre la dégradation, notre article sur le « rapport spécial sur les terres» dévoilé à l’occasion de la COP16

L’autre cause de cette dégradation des sols, ce sont les sécheresses, plus sévères et plus fréquentes à cause du changement climatique. « D’ici à 2050, 3 personnes sur 4 seront affectées par la sécheresse. Riche ou pauvre, aucun pays n’est à l’abri », a martelé Ibrahim Thiaw, le secrétaire général de la Convention de l’ONU sur la lutte contre la désertification, lors d’une conférence de presse. Totalisant 75% des terres arides, le continent africain est le plus exposé au problème de l’assèchement des sols, qui se durcissent et empêchent l’eau de s’infiltrer, et de l’avancée du désert.

Pourtant, les catastrophes climatiques à répétition montrent que le sud de l’Europe – mais aussi les régions agricoles aux Etats-Unis ou dans le sud-est asiatique – n’est plus du tout épargné par le phénomène. Témoins les incendies à répétition, sur son pourtour, le manque d’eau dans de plus en plus de localités. Il faudra restaurer 1,5 milliard d’hectares de terres d’ici à 2030 pour parvenir à un monde neutre en matière de dégradation des terres.

  • une myriade de conséquences

Le recul des sols fertiles impacte en premier lieu l’alimentation mondiale. « On parle de terres et de sécheresse, mais il s’agit en fait de nourriture et de sécurité alimentaire, insiste Ibrahim Thiaw. D’ici à 2050, on aura besoin de deux fois plus de nourriture qu’aujourd’hui, mais 40% de nos terres sont déjà dégradées… On perd nos terres, on perd en productivité. » Si l’accès à la nourriture pour tous progresse en Amérique du Sud, selon le dernier rapport de la FAO, l’Afrique souffre toujours plus. 2,8 milliards de personnes ne pouvaient se permettre une alimentation saine en 2022. Le problème ne vient pas de la production, suffisante, mais de la distribution et du gaspillage. Mais il ne se résoudra pas si, en plus de cela, les sols sont dégradés par les effets du climat et de l’artificialisation.

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La sécheresse a aussi des conséquences sur la sécurité énergétique. Asséchés, les barrages hydroélectriques ne fonctionnent plus correctement dans certaines régions du monde. La sécheresse affecte aussi l’énergie nucléaire puisque les centrales ont besoin d’eau pour être refroidies.

Le commerce international maritime peut aussi être entravé. Les deux grands canaux, de Suez et de Panama, ont été paralysés, le premier par une tempête de poussière et de sable rendant impossible la navigation ; le deuxième par son assèchement.

La dégradation des sols entraine la disparition de terres fertiles et de la ressource en eau. Cette dégradation est une source désormais tristement documentée de conflits et d’émigration forcée, du Sahel à l’Afghanistan.

Enfin, la disparition d’espaces naturels cause l’extinction ou le départ des espèces qui y vivaient, aggrave l’érosion de la biodiversité en générale – l’une des neuf limites planétaires à ne pas franchir – conduisant à des maladies zoonotiques d’origine animale. L’OMS estime que 75% des nouvelles maladies infectieuses sont zoonotiques.

  • Qu’attendre de la COP16 ?

Très codifiée comme les autres COP, la COP Désertification est une arène diplomatique onusienne à laquelle participent 197 Etats-parties (dont l’Union européenne), tous les deux ans. La précédente avait eu lieu à Abidjan, en Côte d’Ivoire.

Pas plus de 5000 participants (négociateurs techniques, ministres, ONG observatrices ou non) sont attendus à Riyad, loin des 65 000 inscrits à Bakou, mi-novembre et des 12 000 juste avant en Colombie.

Un moment scientifique. La sécheresse sera le sujet-clé, autour duquel graviteront son corollaire de l’accès à l’eau douce, les mauvaises pratiques d’irrigation constitutant un autre facteur de dégradation des sols et sous-sols.

Ces quinze jours de discussions diplomatiques seront appuyés par la publication de plusieurs rapports à ce sujet. Le premier, « se reculer du précipice : transformer la gestion des terres pour rester dans les limites de la planète », dévoilé ce dimanche, synthétise les connaissances scientifiques sur la dégradation des terres. Il sera suivi ce lundi d’un premier Atlas mondial de la sécheresse.

Un Observatoire de la résilience face à la sécheresse doit également voir le jour.« Il y a beaucoup d’informations [sur la sécheresse] produites par plusieurs centres dans le monde, mais on doit mieux comprendre la partie résilience pour savoir si les investissements que nous allons promouvoir auront les effets attendus », a indiqué Andrea Meza Murillo, adjointe au secrétaire exécutif de la Convention-Cadre.

Enfin, le Science-Policy Interface, l’organe scientifique qui vise à conseiller les décideurs politiques et dont le mandat arrive à terme, fera l’objet de débats. Créé en 2013, dix ans après ses homologues du Giec pour le climat et de l’IPBES pour la biodiversité, il regroupe des chercheurs au sein de la Convention, et non indépendamment d’elle.

Un moment financier. Comme dans les autres négociations environnementales, la question des moyens alloués à la restauration des terres sera centrale. Il s’agit à la fois de financer les actions mais le fonctionnement de la COP elle-même. La Convention « demande un budget de fonctionnement beaucoup plus élevée que par le passé parce qu’il y a plus de missions, il y a plus d’enjeux. Ca va aussi être un objet de négociation », pointe Patrice Burger, de l’ONG Cari, fin connaisseur de ces négociations, au micro d’Igor Strauss.

Mardi, une « Évaluation financière des besoins » sera dévoilée. On connait déjà le montant estimé pour restaurer 1,5 milliards d’ha de terres en cinq ans : près d’un milliard de dollars par jour, soit 2300 milliards d’ici à 2030. Cela parait ambitieux vu des résultats obtenus lors de la COP Climat à Bakou. « Nous nous sommes basés sur les ambitions déclarées par chaque pays dans leur plans nationaux », a précisé Louise Baker, une cadre de la Convention. 120 pays ont annoncé leurs plans pour combattre la désertification. Ils attendent des moyens. L’Arabie saoudite, pays au trois-quarts désertique, accueille pour la première fois une conférence de l’ONU. Elle doit lancer son Partenariat mondial pour la résilience face à la sécheresse, impliquant l’annonce de subsides destinés aux 80 pays les plus vulnérables.

Un moment politique. Dans les négociations, les pays négocient par groupes. D’un côté, quatre « Annexes » : Afrique, Asie, Amérique latine, pays méditerranéens, qui se déclarent affectés par la dégradation des terres. Ils souhaiteraient la mise en place d’un protocole contraignant, type Kyoto. Face à eux, le groupe West European and Others Group, Weog, qui rassemblent des nations qui se disent « non-affectées » (France, États-Unis…) par la désertification. Une position scientifiquement contestable et qui permet à ces États de s’exempter d’élaborer des stratégies de lutte contre la dégradation et même d’appliquer les décisions prises lors des COP.

Deux visions des systèmes agro-alimentaires devraient s’affronter lors de cette COP : l’un conventionnel et largement subventionné, appliqué massivement partout sur la planète depuis la moitié du XXe siècle, basé sur l’intensification des cultures et de l’élevage à grand renfort de produits de synthèse et l’extension des exploitations agricoles ; l’autre, agro-écologique, employé partout dans le monde mais de manière plus parcellaire et localisé, faute bien souvent de soutien politique et financier. Plusieurs centaines d’ONG et de centres de recherches scientifiques seront présents pour porter le plaidoyer en faveur de ce modèle qui, sans s’opposer aux recours des nouvelles technologies, tourne le dos aux produits chimiques.

La numéro deux de la CNULCD Andrea Meza Murillo « espère de cette COP une décision qui marque un point de repère » pour « l’installation d’un cadre international sur les problèmes causés par la sécheresse. Avec cette décision, les pays auront plus de capacités à mettre en œuvre au niveau national. C’est une première étape. » Autrement dit, un texte fondateur équivalent à celui de l’Accord de Paris pour le climat (2015) ou de l’Accord Kunming-Montréal (2022). Un objectif qui semble chimérique au vu de la marginalisation de la « COP des pauvres ».

Source du contenu: www.rfi.fr

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