La COP29 entre dans sa seconde semaine. Au cœur des discussions, un nouvel objectif chiffré des financements à fournir aux pays en développement pour les aider dans leur action climatique. Cela doit remplacer les fameux 100 milliards de dollars par an. Ce précédent objectif a été atteint en 2022 avec deux ans de retard. Mais plusieurs ombres planent sur le versement de cette aide promise en 2009 par les pays riches.
À commencer par le montant des sommes effectivement versées. L’ONU et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), répertorient les aides climatiques en fonction des déclarations des pays qui la fournissent. C’est d’ailleurs par le biais de l’OCDE que l’on s’ait qu’en 2022, on est parvenu à un montant de près de 116 milliards de dollars, passant enfin le cap des 100 milliards de dollars annuels promis à Copenhague. Mais, ce n’est pas aussi simple qu’il n’y parait, car les déclarations ne sont pas standardisées.
« Certains pays signalent les financements lorsqu’ils s’engagent formellement à les fournir, d’autres quand l’argent est effectivement transféré, souligne Jorge Rivera, de l’ONG One. Nous avons constaté que seulement un tiers des fonds annoncés comme financement climatique sont en fait dépensés pour des projets liés au climat ou effectivement décaissé. Mais les infos sont dures à assembler. »
Certains usages font, en effet, débat. « Depuis que l’objectif de financement climat a été pris en 2009, puis ratifié dans l’accord de Paris en 2015, il n’y a jamais eu une définition exacte de ce qu’est le financement climat », note Norman Martin Casas, conseiller en plaidoyer climat au sein d’Oxfam. « Alors les bailleurs fournissent le financement à leur discrétion », regrette-t-il.
Une enquête de l’agence Reuters et de Big Local News s’étonnait en juin 2023 de la présence de quelques projets inattendus dans la liste des « financements climatiques » : des magasins de chocolat, un prêt pour l’expansion d’un hôtel ou même des fonds pour une centrale à charbon.
Aide au développement et finance climatique
Par ailleurs, des soupçons pèsent sur des opérations de double comptabilité ou de « verdissement des aides ». Selon les révélations du média Carbon Brief en avril 2024, le Royaume-Uni aurait reclassifié 500 millions de livres d’aides à des pays pauvres ravagés par la guerre en « aide climatique ». L’ONG Care estime que 93 % des versements au titre de l’aide climatique entre 2011 et 2020 ont été prises dans les budgets d’aide au développement. Or, « en théorie, les pays sont tombés d’accord pour que la finance climat soit additionnelle, qu’elle s’ajoute aux autres formes de financement », souligne Jorge Rivera.
Car « les pays développés ont aussi pris l’engagement de verser 0,7 % de leur PNB en termes d’aide au développement pour les pays plus pauvres », rappelle Laetitia Pettinotti, chercheuse à ODI Global.
Mais, les deux aspects sont souvent très imbriqués l’un dans l’autre. Dans le cadre d’une aide à l’électrification d’une zone rurale, il peut y avoir une réflexion sur la résilience face à la sécheresse ou aux inondations. Le projet peut aussi prévoir une installation de panneaux solaires pour une électrification bas-carbone.
Alors, Laetitia Pettinotti du centre de recherche ODI Global, promeut une vision globale : « il vaut mieux se demander : combien a été donné en aide au développement ? Combien a été donné au nom de cet objectif de 100 milliards de dollars pour le climat ? Et si l’on additionne les deux, est-ce qu’effectivement, on arrive à la somme qui devrait être versée ? On a fait le calcul, on a fait la somme de 0,7 % du PNB de chaque pays développé et leur part de financement pour le climat. Très clairement, le pays qui ne fait pas sa part, ce sont les États-Unis. »
En 2022, ils auraient dû apporter 30 milliards de dollars supplémentaires. D’autres pays, l’Australie, le Canada, le Royaume-Uni ou encore l’Italie, auraient également dû davantage mettre la main à la poche, mais pas dans les mêmes proportions.
Pourtant, une partie de cette « aide » climatique revient aux pays développés. L’argent peut être versé sous différentes formes. Cela peut être des dons, des prêts concessionnels, c’est-à-dire avec un taux d’intérêt avantageux ou une longue période de remboursement, mais cela peut aussi se faire sous forme de prêts classiques.
Taux d’intérêt
Sur ce dernier point, le programme de journalisme de Stanford Big Local News et Reuters ont fait une étude sur les aides bilatérales. Au total, entre 2015 et 2020,18 milliards de dollars d’argent mobilisés, l’ont été sous forme de prêts non concessionnels, c’est-à-dire aux taux du marché. Les pays prêteurs récupèrent donc des intérêts. « Mais l’obstacle que nous avons rencontré pour déterminer les avantages que ces pays tirent de ces prêts, c’est le manque de transparence dans les rapports qu’on a analysés. On ne connaît pas exactement les taux d’intérêt », explique Irene Casado Sanchez. La data-journaliste pour Big Local News donne tout de même un exemple : « Quand on creuse un peu projet par projet, on arrive à découvrir certains détails. Par exemple, en 2017, la France a accordé un prêt de plus de 118 millions de dollars à la ville de Guayaquil, en Équateur, pour construire un tramway aérien. Et on a pu savoir que le taux d’intérêt était de 5,88%. Donc, si on fait les calculs, la France devrait percevoir 76 millions de dollars d’intérêts sur la période de remboursement de 20 ans. Ça peut sembler peu, mais si on prend en compte que la ville de Guayaquil est déjà énormément endettée, c’est un gros poids pour elle. »
Mais vu l’immensité des besoins (des milliers de milliards de dollars au total) et la difficulté d’atteindre les sommes promises, il parait inenvisageable de se passer des prêts. « L’important, estime Jorge Rivera, c’est que l’on utilise les subventions dans les pays qui ne peuvent pas se permettre de s’endetter davantage, et que l’on accorde des prêts, les plus concessionnels possibles, dans les pays qui peuvent se permettre d’avoir plus de dette, et de trouver d’autres moyens pour mobiliser d’autres types de capitaux pour d’autres pays où cela sera approprié ». Autre élément à prendre en compte : la nature du projet. Pour certains d’entre eux, pour des projets d’énergies renouvelables par exemple, « il peut y avoir un retour sur investissement », souligne Laetitia Pettinotti.Or, « en général », les intérêts versés, « ce sont des fonds qui ensuite repartent dans l’aide au climat, l’aide au développement. Ils ne sont pas redistribués ou réutilisés pour d’autres budgets de l’État », ajoute-t-elle.
Manque de transparence
Mais, il est difficile de savoir « quelle part des sommes versées aux pays en développement l’est sous forme de subventions, combien l’est sous formes de prêts et quelles sont les conditions », regrette Jorge Rivera.
L’enquête d’Irene Casado Sanchez met aussi en avant les conditions parfois posées pour ces financements. « Le Japon est le pays qui mobilise le plus d’argent en tant que financement climatique. Mais si on regarde le détail, on sait qu’environ 32 % de ces prêts sont liés à des conditions qui exigent aux emprunteurs qu’ils utilisent au moins une partie de l’argent pour passer des contrats avec des entreprises japonaises. Le problème de ces conditions, c’est que les pays emprunteurs ne peuvent pas opter pour d’autres entreprises, d’autres technologies ou des autres matériaux qui pourraient être moins coûteux ».
Et là encore, comme pour chaque aspect de la question, le problème, c’est surtout le manque de transparence.
Alors, en pleines négociations à la COP29 sur le NCQG, « le nouvel objectif collectif quantifié », Jorge Rivera assène « des mécanismes transparents ne sont pas une option. Ils sont essentiels. »
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