Deux associations ont appellé à manifester ce 15 février en Bretagne contre « le navire de l’enfer » ! Une entreprise française vient d’investir dans une partie de ce navire-usine hors normes en remplacement d’une autre embarcation. Avec ses 145 mètres de long, il est considéré comme l’un des plus grands chalutiers au monde.
Ce bateau ne mise pas sur la discrétion bien qu’il n’encombrera pas le paysage à Saint-Malo dans l’Ouest de la France. En effet, la Compagnie des pêches de Saint-Malo a investi 15 millions d’euros dans le bateau mais il ne mouillera pas dans le port breton. Il est tout simplement trop grand.Au-delà de la taille du bâtiment lui-même, avecson chalut de plusieurs centaines de mètres de long, il peut pêcher jusqu’à 400 tonnes de poissons par jour et stocker 7000 tonnes de marchandises. Du poisson transformé directement à bord d‘où le nom de « navire-usine ». En l’occurrence, pour la Compagnie des pêches de Saint-Malo, des merlans bleus seront réduits en purée, un ingrédient de base des surimi qui seront ensuite confectionnés dans la Cité corsaire.
Captures accidentelles
Ce gigantisme est dénoncé par des associations de protection des océans et certains pêcheurs pour plusieurs raisons. Bien qu’en France l’essentiel « des captures accidentelles de mammifères marins soit plutôt lié à l’usage des filets », explique Didier Gascuel, professeur en écologie marine et directeur du pôle halieutique de l’Institut agro, « il y a quand même des captures réalisées au cours de pêches en pleine eau. Et les gros bateaux qui filtrent beaucoup d’eau en font plus que les petits qui ne filtrent pas beaucoup d’eau ». Outre les mammifères, le thon peut, par exemple, être remonté à la surface accidentellement. Laëtitia Bisieaux, chargé de projets à l’ONG Bloom, s’alarme du potentiel de captures accidentelles des grands bateaux industriels. « Ils annoncent un pourcentage de 2 % : 2 % de 400 tonnes, c’est peut-être ce que pêche un artisan dans le mois. C’est faramineux, » précise-t-elle.
Poissons fourrage
Autre source d’inquiétude : la quantité et le type de poissons pêchés. Il est souvent reproché aux chalutiers de fonds d’abîmer le sol des océans. L’Annelies Ilena pêche, lui, des poissons pélagiques qui vivent près de la surface ou entre la surface et le fond. Et les petits pélagiques sont souvent des poissons fourrages. Ils sont « un maillon intermédiaire dans la chaîne alimentaire, explique Didier Gascuel. Ils se nourrissent de phytoplancton et de zooplancton que l’on trouve plutôt en surface. Eux-mêmes sont les proies de tous les grands poissons, des thons qui sont en pleine eau ou des poissons qui sont sur le fond. Le gros problème de l’impact écologique de ces pêches-là, c’est celui-là. Cela a des effets en chaîne sur tous les prédateurs de ces poissons fourrage, c’est-à-dire sur une très grande partie de l’écosystème. »
Didier Gascuel critique donc surtout le mode de calcul des quotas qui repose sur une « vision très productiviste de la durabilité des pêches. ». Une pêche durable devrait, à ses yeux, prendre en compte le partage des ressources. Au total les bateaux de pêche industrielle de plus de 40mètres – pas nécessairement des bateaux-usines – « représentent 0,5% de la flottille française » mais puisent « 25 % du tonnage » prélevé dans le pays, estime Didier Gascuel.
Le partage des ressources est aussi une question sensible au large de l’Afrique. L’Annelies Ilena a d’ailleurs commencé sa carrière sous un autre nomau large de la Mauritanie. D’abord, « trop gros pour être immatriculé dans la flotte irlandaise, » puis trop gros pour se satisfaire des « quotas irlandais; ils ont trouvé un accord avec la Mauritanie. Ce bateau allait donc y pêcher neuf mois par an, » raconte Laëtitia Bisieaux. C’est là qu’il a gagné son surnom de « navire de l’enfer ».
Plus largement, la pêche industrielle au large des côtes ouest-africaines est régulièrement dénoncée par les petites structures.« L’Afrique est vraiment un endroit où les grandes flottilles du monde entier sont venues piller les ressources des pays les uns après les autres. Cela a été à une époque beaucoup les Européens notamment en Afrique de l’Ouest, aujourd’hui ce sont pour beaucoup des flottilles asiatiques, résume Didier Gascuel.Mais de préciser : elles peuvent comprendre des navires intermédiaires « entre 24 et 40m ».
Baisse des ressources au Sénégal
Néanmoins, Alassane Diatta, coordinateur du Réseau national des conseils locaux de pêche artisanale au Sénégal dénonce l’activité de très grands bateaux et les effets de la surexploitation des stocks. « Il y a beaucoup moins de poissons à pêcher, des espèces qui disparaissent petit à petit, » témoigne-t-il. « Il y a aussi des cas de disparitions [de pêcheurs] en haute-mer car ils ne trouvent plus de poissons sur la côte. Ils vont donc plus loin avec des embarcations qui ne sont pas solides. » Alassane Diatta réclame la publication de la liste des navires qui pêchent près des côtes sénégalaises.
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