D’une superficie de la taille de l’Europe, situé à plus de 4 000 mètres d’altitude, le plateau tibétain se réchauffe en été et devient ainsi le principal moteur de la mousson dans toute l’Asie. Ce plateau est donc crucial pour l’approvisionnement en eau de la région la plus densément peuplée de la planète. Des membres de l’Académie des sciences à Xi’an et autres chercheurs internationaux ont étudié l’évolution de la société chinoise à l’aune de la pluviométrie sur le plateau tibétain.
Les chercheurs chinois et leurs collègues internationaux ont réussi à déterminer les périodes humides et les moments de sécheresses de ces 3 476 dernières années sur le plateau tibétain, en étudiant les anneaux de croissance des troncs d’arbres. Les anneaux de croissance, aussi appelés cernes, ce sont les cercles que l’on voit sur le tronc quand on coupe un arbre en deux.
Des arbres portent en eux l’histoire du climat
« Sur le plateau tibétain règne un climat semi-aride. Il n’y a que peu d’arbres », explique Achim Bräuning, professeur de géographie physique à l’université d’Erlangen-Nuremberg en Allemagne, qui a participé à ce projet de recherche. Les scientifiques se sont donc concentrés sur un arbre en particulier, un genévrier, qui pousse sur ce haut-plateau depuis des millénaires. Certains individus de cette espèce peuvent vivre jusqu’à deux mille ans. Les chercheurs ont aussi récupéré du bois de genévrier dans des vestiges archéologiques de chambres funéraires. Et comme les anneaux de croissance des arbres portent des traces des périodes de pluie et des sécheresses vécues, les chercheurs ont pu reconstituer une véritable archive climatique du plateau tibétain.
En évaluant les données ainsi obtenues, les scientifiques ont constaté que les trois derniers millénaires ont été marqués par trois phases distinctes de baisse significative des précipitations après de longues périodes humides et que les phases les plus arides sur le plateau tibétain coïncidaient avec les effondrements de plusieurs dynasties chinoises.
Des crises climatiques du passé ont provoqué la chute de dynasties chinoises
Durant la première phase de sécheresse (de -110 à +280), lorsque le climat est devenu aride en 14 après J.-C., la famine et les cas de cannibalisme se sont multipliés, entraînant des soulèvements généralisés qui ont finalement abouti au renversement de l’éphémère dynastie Xin (9-23), selon un article des chercheurs publié dans la prestigieuse revue Nature. Après une deuxième période (330-770) qui couvre notamment les dynasties Sui et Tang, une troisième (950-1 300) correspond à la dynastie Song et à son déclin.
« Notre étude suggère que les bouleversements dans la généalogie des dynasties chinoises sont très fortement liés aux crises climatiques, souligne Achim Bräuning. À l’époque, il s’agissait de sociétés agraires, dont la prospérité dépendait étroitement de l’eau disponible. Lors de sécheresses extrêmes, les récoltes devenaient incertaines, l’État ne pouvait plus percevoir d’impôts, les gens souffraient de la faim et de la pauvreté. Ces situations de crise dans les sociétés de l’époque ont conduit à l’instabilité politique, un affaiblissement des dynasties au pouvoir, puis finalement au changement et à l’arrivée de nouvelles ères politiques. »
Étudier le paléoclimat, mieux agir pour l’avenir
Les scientifiques tentent d’apprendre un maximum sur l’évolution du climat dans le passé pour améliorer la modélisation du changement climatique causé par l’homme. « Certes, les humains sont aujourd’hui plus résistants aux sécheresses qu’il y a 3 000 ans. Mais le manque d’eau risque toujours de provoquer des crises », souligne Achim Bräuning. « En Asie, l’eau ne sert pas seulement à l’agriculture et à l’industrie. Elle est aussi essentielle à la production d’hydroélectricité. Aujourd’hui encore, l’absence de pluies peut entraîner des conséquences extrêmes sur la société. C’est pourquoi nous devons essayer d’agir sur toutes les causes qui affaiblissent le cycle de l’eau. »
Selon les auteurs de l’étude, la sécheresse qui sévit actuellement sur le plateau tibétain et depuis la deuxième moitié du XXe siècle est inédite. Ils n’ont pas trouvé trace d’événement comparable dans leur bibliothèque d’arbres qui remonte 3 476 ans en arrière.
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