Questions d’environnement – UE: qu’est-ce que le Pacte Vert, enjeu des élections européennes?

Share

Quel avenir pour l’une des politiques phares de l’UE après les élections européennes du 9 juin prochain ? Neutralité carbone d’ici 2050, fin des véhicules thermiques d’ici 2035, zones à faible émission… C’était la priorité numéro un de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen après le dernier scrutin européen de 2019 et la poussée écologiste. Mais aujourd’hui, la donne a bien changé. La colère des agriculteurs est passée par là et les ambitions ont nettement été revues à la baisse.

 Le 11 décembre 2019, dix jours après sa prise de fonctions et en pleine COP 25, la toute nouvelle présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen présente son « Green Deal » devant le Parlement européen. Un Pacte vert au cœur du programme qui lui a valu d’être élue par les eurodéputés quelques mois auparavant. À l’époque, le Parlement européen vient d’être renouvelé et on observe une poussée des écologistes, arrivés à la deuxième place dans plusieurs États membres. C’est la première élection d’eurodéputés depuis les grandes marches pour le climat et l’Accord de Paris qui vise à limiter, au mieux, le réchauffement climatique à + 1,5°C d’ici à 2100.

Convaincue que « le vieux modèle de croissance basé sur les énergies fossiles et la pollution est dépassé », Ursula von der Leyen propose donc cette feuille de route vers la neutralité climatique de l’Union européenne d’ici 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction des émissions d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Le Pacte vert est destiné à devenir la « nouvelle stratégie de croissance » de l’UE. Pour la présidente de la Commission, le moment est historique : « C’est notre conquête de la lune à nous. » 

Le Pacte vert, ce sont des lois et des objectifs politiques qui couvrent tous les pans de l’économie et de la société européenne et c’est le « plan le plus ambitieux jamais adopté pour le climat », saluent les ONG environnementales. Il a évolué au fils des crises et des guerres, et il est désormais attaqué de toute part. Plongée au cœur du Pacte vert et de ses mesures emblématiques.

Énergie : les renouvelables en force et le retour du nucléaire

L’Union européenne est gourmande en énergie… surtout en énergies fossiles, principales responsables du réchauffement climatique ! Le pétrole (33 %), le gaz (22 %) et le charbon (12 %) sont en effet les principales sources d’énergie consommées dans l’UE, même si leur part dans le mix en Europe a diminué de 11 % depuis 1990. La production et la consommation d’énergie représente à elle seule plus des trois quarts des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2030, il est donc essentiel de faire des économies d’énergie et de remplacer les énergies fossiles par des énergies renouvelables ou bas carbone comme le nucléaire, objet de vifs débats dans plusieurs pays au regard des pollutions et des risques liés à l’atome mais qui est défendu par la France et ses entreprises comme EDF notamment.

En mars 2023, les 27 se sont accordés pour atteindre 42,5 % d’énergies renouvelables d’ici à 2030 dans le mix européen. Selon l’Agence européenne pour l’environnement, elles ont atteint 22 % du mix de l’UE en 2022. La consommation finale d’énergie doit aussi diminuer d’au moins 11,7 % en 2030 par rapport à 2020. Les principaux leviers pour y arriver sont la sobriété et l’efficacité énergétique.

Transports : clap de fin pour les véhicules thermiques neufs, malgré l’Allemagne

Selon l’Agence européenne de l’environnement, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué dans tous les secteurs, sauf dans celui des transports qui a émis 131 millions de tonnes d’équivalent CO2 de plus qu’en 1990. Soit une hausse de plus de 19 %. Les transports représentent aujourd’hui 23 % des émissions de gaz à effet de serre européennes et de tous les modes de déplacement, c’est la route qui pèse le plus lourd.

Le Pacte vert prévoit de réduire les émissions liées aux transports de 90 % d’ici 2050. L’UE souhaite s’attaquer au transport maritime et à l’aviation avec le développement de biocarburants notamment et d’engins moins gourmands. Mais la mesure la plus emblématique reste l’interdiction à la vente dès 2035, de véhicules essence, diesel et hybrides neufs. Une mesure fortement combattue par l’Allemagne et l’industrie automobile mais qui a finalement été validée par le Parlement en juin 2022.

Industrie propre : la réponse au plan américain

L’industrie représente aujourd’hui 20 % des émissions de gaz à effet de serre au sein de l’UE, même si le secteur a déjà fortement réduit ses émissions : -35 % depuis 1990. Mais après l’entrée en vigueur en 2022 de l’Inflation Reduction Act (IRA) américain et ses 370 milliards de dollars de subventions aux industries pour leur transition écologique, l’UE a voulu aller plus loin, et a répondu avec son propre plan de soutien. Inquiète pour la compétitivité de ses industries, déjà confrontés à une concurrence chinoise fortement subventionnée, les 27 ont présenté en février 2023 un « Plan industriel du pacte vert » qui couvre quatre piliers pour stimuler l’industrie « propre » dans les Etats membres.

Des procédures simplifiées et facilitées pour aider à la décarbonation des industries et favoriser des secteurs clés comme la fabrication de batteries électriques, de panneaux solaires ou les pompes à chaleur. Les aides financières d’Etat et des fonds européens sont aussi plus facilement accordés. L’UE envisage même de créer un nouveau fonds dédié. Pour développer la main-d’œuvre spécialisée dans ces nouvelles technologies vertes, le plan prévoit « des académies des industries à zéro émission nette ». Il s’agit aussi d’aider à la reconversion car, selon la Commission, 35 % à 40 % de l’ensemble des emplois pourraient être touchés par la transition écologique. Enfin l’UE prévoit de renforcer les échanges à l’international pour exporter ses productions et donc de « poursuivre le développement des accords de libre-échange » ou de créer un “club des matières premières critiques”, regroupant pays consommateurs et producteurs pour éviter les ruptures d’approvisionnement.

Ce plan industriel est encore en négociation entre les Etats, la Commission et le Parlement. Ce sera à la prochaine mandature de se prononcer.

Bâtiment : la rénovation thermique voit double

Le secteur représente 14% des émissions de gaz à effet de serre dans l’UE, principalement pour les besoins de chauffage ou de climatisation. Et pour l’instant, si les émissions liées aux bâtiments diminuent, c’est surtout à cause d’hivers plus doux et des besoins en chauffage qui diminuent. Or l’objectif du Pacte vert est de réduire de 60 % les émissions liées aux bâtiments d’ici 2050.

Une directive adoptée en avril dernier impose donc aux Etats des logements neufs zéro-émission d’ici 2028 ainsi que de doubler le taux de rénovation chaque année. Pour l’instant, « chaque année, seulement 1 % du parc immobilier fait l’objet d’une rénovation énergétique », selon la Commission qui estime que d’ici à 2030, 35 millions de bâtiments pourraient être rénovés et jusqu’à 160 000 emplois verts supplémentaires créés dans le secteur de la construction.

Entreprises : taxe carbone aux frontières mais devoir de vigilance à l’étranger

Le Parlement européen a voté deux mesures phares pour les entreprises et le commerce international. À commencer par la taxe carbone aux frontières. Elle vise à réduire les émissions liées aux importations au sein de l’UE. Concrètement, des surcoûts sont appliqués aux entreprises, à l’étranger, en fonction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Pour l’instant, la mesure concerne le fer, l’acier, l’aluminium, le ciment, l’engrais, l’électricité et l’hydrogène. Alors que les entreprises du Vieux Continent sont contraintes de réduire leurs émissions, le texte permet ainsi de limiter la concurrence avec les sociétés à l’étranger qui peuvent polluer sans surcoût (et produire moins cher).

Seconde directive : le devoir de vigilance. Il permet de lutter contre l’impunité des grandes entreprises et des acteurs financiers sur l’environnement et les droits humains, lorsqu’elles opèrent à l’international. Ainsi, si une entreprise française pollue ou ne respecte pas les droits d’une population autochtone dans un autre pays, elle peut être poursuivie en France.

Restauration de la nature : bras de fer sur les aires protégées

Les forêts, les prairies ou encore les tourbières ont l’indispensable capacité à capter le CO2 liées aux activités humaines. Les scientifiques sont clairs, il est essentiel de protéger la nature pour limiter le réchauffement climatique. Mais l’Agence européenne de l’environnement calcule que « ces dix dernières années, la capacité des puits de carbone a diminué » en Europe. En 2022, 244 millions de tonnes d’équivalent CO2 étaient absorbés par les milieux naturels, contre 342 millions de tonnes en 2005. En cause, la déforestation et l’agriculture intensive mais aussi les sécheresses et les feux de forêts qui se multiplient avec le changement climatique. En 2022, plus de 785 000 hectares de forêts ont brûlé en Europe.

Outre s’attaquer à la crise climatique, l’UE tente également de lutter contre l’effondrement du vivant. Aujourd’hui, plus de 80 % des habitats et 70 % des sols européens sont en mauvais état de conservation et plus de la moitié des arbres endémiques d’Europe, 40 % des poissons d’eau douce et 17 % des mammifères sont menacés d’extinction.

La stratégie biodiversité du Pacte vert vise à créer d’ici 2030 des aires protégées couvrant 30 % des terres et des mers de l’UE, à planter 3 milliards d’arbres dans les pays membres et à consacrer 20 milliards d’euros chaque année à la protection de la biodiversité.

Pilier de cette stratégie, le règlement sur la restauration de la nature, en cours d’adoption, obligerait également à restaurer au moins 20 % des zones terrestres et maritimesd’ici à 2030 et tous les écosystèmes dégradés d’ici 2050, dont les terres agricoles. Le texte a fait l’objet d’un intense bras de fer au Parlement européen où il a déjà été affaibli et plusieurs Etats membres y sont toujours opposés.

Une autre mesure emblématique pour protéger la nature est censée entrer en vigueur en fin d’année. Il s’agit du règlement sur la déforestation importée qui interdit l’importation, au sein de l’Union européenne, de produits issus de la déforestation notamment le bœuf et ses dérivés comme le cuir, le soja, le café, le cacao ou encore l’huile de palme.

Agriculture : après la colère des agriculteurs, la fin des ambitions ?

Entre les rots et les pets du bétail, la dégradation des engrais ou les émanations issues du fumier, l’agriculture pèse pour 11 % des émissions de gaz à effet de serre de l’UE en 2022. Pour atteindre les objectifs de neutralité carbone du Pacte vert, le secteur doit diminuer ses émissions de 1 % chaque année jusqu’en 2030. Pas si simple dans les faits car les ambitions politiques se heurtent au rejet des agriculteurs et des puissants lobbys de l’agro-industrie. L’agriculture, dans la manière dont elle est pratiquée aujourd’hui, participe aussi grandement à la perte de biodiversité.

Avec sa stratégie « de la ferme à la table », l’UE souhaite faire évoluer les pratiques agricoles et améliorer l’alimentation des Européens. En effet, la moitié des adultes sont en surpoids et 970 000 personnes meurent chaque année au sein de l’Union à cause d’une alimentation malsaine. L’objectif initial était de réduire de 50 % l’usage des pesticideset d’atteindre 25 % d’agriculture biologique d’ici 2030. Mais peu de mesures ont été mises en place et la stratégie, non contraignante, patine. L’objectif de réduction des pesticides a même été rejeté par les eurodéputés fin 2023, et ne figure plus dans les propositions de la Commission.

Les mesures concernant la protection de l’environnement et une agriculture durable sont en réalité plutôt présentes dans la PAC, la Politique agricole commune, qui subventionne les agriculteurs et qui représente plus du tiers du budget de l’UE. Ces aides financières peuvent en effet être conditionnées à la mise en jachère de parcelles ou à la protection de prairies et de zones humides, ce qui protège la biodiversité.  Des fonds sont aussi débloqués pour développer l’agroécologie, une manière de produire respectueuse de l’environnement et du climat. Toutefois fin avril, face à la colère des syndicats de l’agro-industrie, le Parlement européen a renoncé ou allégé la plupart des dispositions environnementales, au grand dam des écologistes.

Le financement du Pacte vert en danger

Le plan d’investissement du pacte vert doit réussir à mobiliser au moins 1000 milliards d’euros sur 10 ans à répartir dans les différents programmes et secteurs économiques. Il doit soutenir les travailleurs et les citoyens des régions les plus touchées par la transition. D’où vient l’argent ? D’abord du budget de l’UE à hauteur de 25%, soit 503 milliards d’euros sur 10 ans. S’ajoute le co-financement des Etats membres pour 114 milliards d’euros. Par ailleurs, le programme InvestUE doit mobiliser 279 milliards d’euros d’argent public et privé grâce au soutien de la Banque européenne d’investissement. Sans oublier la vente de crédits carbone qui doit rapporter 25 milliards d’euros et le Fonds de transition juste qui doit lever 100 milliards d’euros.

Depuis le début de la mandature, plusieurs crises ont ébranlé l’Europe et mis à mal ce plan de financement. Après la pandémie de Covid-19, ses confinements et ses conséquences économiques, l’Union européenne a décidé d’un plan de relance de de 750 milliards d’euros financé par l’emprunt, dont 37% des fonds doivent être consacrés à des projets rentrant dans les objectifs climatiques du Pacte vert.

Un pacte impopulaire en butte à la « pause environnementale »

« Entre 1990 et 2022, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 31 % », au sein de l’UE, selon l’Agence européenne de l’environnement. Et si toutes les mesures promises étaient appliquées, « la réduction atteindrait 48 % d’ici 2030 ». Or cela reste 7 % en dessous de ce qui serait nécessaire pour atteindre les objectifs de neutralité carbone du Pacte vert d’ici 2050, « il va donc falloir plus que doubler la vitesse de réduction des émissions » par rapport à ce qui a été fait ces dernières années, estime l’agence.

La crise du Covid et la guerre en Ukraine, aux portes de l’Union européenne, « ont affecté toutes les politiques, parfois en forçant leur progression, d’autres fois en la ralentissant, et dans d’autres cas encore en imposant un changement de cap », note le service de recherche du Parlement européen en février 2023. 148 initiatives ont été annoncées dans le cadre du Pacte vert, ce qui en fait la politique prioritaire de ces cinq dernières années, « mais l’exécutif européen n’en a présenté qu’un peu plus de la moitié (56 %) et par conséquent […] moins d’un quart (24 %) d’entre elles a été adopté par les colégislateurs ».

Les secteurs de l’énergie et du climat ont ainsi plus avancé, notamment grâce au plan REPowerUE qui a permis de développer les énergies renouvelables et diminuer la consommation, suite à la guerre en Ukraine. L’Union européenne a en effet été contrainte de se détourner du fournisseur de gaz et de pétrole russe. Par contre, les mesures en faveur de la biodiversité et sur l’agriculture ont peu progressé, notamment à cause de la fronde des agriculteurs débuts 2024.

En pleine crise inflationniste et face à la montée de l’extrême droite, plusieurs pays, dont la France, ont appelé à une « pause règlementaire ». Le Pacte vert, qui engage la société sur un changement en profondeur, est en effet peu populaire auprès de l’électorat. Pourtant, selon l’Institut de l’économie pour le climat, si l’UE veut atteindre ses objectifs, il lui manque 406 milliards d’euros chaque année afin d’accompagner les entreprises et les ménages dans cette difficile transition.

Source du contenu: www.rfi.fr

Dernières nouvelles

Dernières nouvelles