Questions d’environnement – Un pays peut-il exploiter des hydrocarbures et être neutre en carbone?

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L’idée est défendue par le Guyana pays voisin du Brésil et du Venezuela, qui a commencé à exploiter un champ d’hydrocarbures au large de ses côtes fin 2019.

Récemment interrogé par un journaliste de la BBC sur l’impact climatique de cette ambition pétrolière, le président du Guyana, Mohamed Irfaan Ali, a répondu courroucé : « Nous avons gardé cette forêt, qui stocke 19,5 gigatonnes de carbone, en vie. Le monde en profite et vous ne nous payez pas pour ça ! » Et d’ajouter : « Même en exploitant toutes les ressources en pétrole et en gaz dont nous disposons actuellement, le Guyana restera neutre en carbone. »

Une étude de l’Université du Guyana vient accréditer ses propos. Les émissions du secteur énergétique en 2027 ne représenteraient que 11% maximum de la séquestration carbone de ce pays recouvert de la forêt amazonienne.

Cette conclusion étonne Michael Lazarus, chercheur principal à l’Institut environnemental de Stockholm (SEI). « C’est absurde, juge-t-il. Il n’y a aucun lien de causalité entre les deux. Le pétrole ne finance pas les forêts. Il n’y a qu’une sorte de coïncidence géographique. »

Émissions territoriales

Certes, l’objectif à 2050, c’est la « neutralité » carbone, c’est-à-dire que toutes les émissions puissent être compensées par l’absorption par des « puits » naturels ou par la technologie. Mais le diable peut se cacher dans la méthodologie de calcul. Seules les émissions liées à la production de pétrole ont été prises en compte, celles générées par le torchage par exemple. Les gaz à effet de serre émis à la combustion des hydrocarbures exportés du Guyana « ne sont donc pas pris en compte », souligne Wolfgang Cramer, directeur de recherche au CNRS.

Le Guyana ne sort pas spécialement des sentiers battus. « La Norvège ou l’Arabie saoudite font le même calcul », ajoute ce chercheur de l’Institut Méditerranée de biodiversité et d’écologie, qui juge l’étude « solide et transparente ». Les pays affichent, en effet, souvent un inventaire territorial. « Il y a une logique à cela, estime Michael Lazarus, cela évite de compter deux fois les mêmes émissions » en cas d’import ou d’export. L’inconvénient, c’est que cela ne reflète pas nécessairement la pression réelle d’un pays sur le climat. « La responsabilité est partagée entre le producteur et le consommateur », poursuit le chercheur du SEI.

Question de justice

Quant à la mesure des « puits » de carbone, bien qu’il soit très important de préserver les forêts, il convient de distinguer le « maintien » d’un stock de CO2, et « le fait de réussir à capturer du carbone qui viendrait compenser des émissions de CO2 ailleurs », explique Sébastien Treyer, directeur général de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). D’ailleurs, un « cahier des charges a été publié par le Giec sur le mode de calcul. Cela suppose une gestion active des forêts », commente Wolfgang Cramer pour qui, quoi qu’il en soit, « ce n’est pas le cœur de la problématique ». Le cœur de la problématique est celle de la « justice », abonde Sébastien Treyer.

« Le pays a jusque-là peu contribué aux émissions de gaz à effet de serre et a un niveau de développement faible. Il est donc extrêmement difficile de l’empêcher d’utiliser ses propres ressources pétrolières », pointe-t-il. D’autant plus « qu’on sait que les États-Unis, la Norvège, le Royaume-Uni et les pays du Golfe vont continuer à développer de nouveaux champs pétrolifères ».

Le Guyana, 108e pays en termes d’indice de développement humain, a vu sa croissance économique monter en flèche depuis le début de l’exploitation du pétrole. Le PIB a bondi de 63,4% en 2022. Sébastien Treyer estime donc qu’il « faut trouver une autre solution pour l’aider à se développer sans que le pays ait forcément à utiliser tout son pétrole ». Une solution que le directeur général de l’Iddri aurait « tendance à séparer » de la question de la protection des forêts. Sur cet aspect-là, un instrument permettant de financer leur préservation a été discuté à la COP28 pour quelques pays, dont le Congo-Brazzaville.

Source du contenu: www.rfi.fr

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