Réchauffement climatique, stress hydrique, pollution, l’Iran est confronté à divers défis environnementaux. Quels sont-ils ? Comment le régime, qui célèbrera ses 45 ans ce dimanche 11 février, gère-t-il ces enjeux ? Jonathan Piron, historien spécialiste de l’Iran et des questions environnementales au centre de recherche bruxellois Etopia, répond à RFI.
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RFI : Quelles sont les conséquences du réchauffement climatique en Iran ?
Jonathan Piron : L’impact du dérèglement climatique est important en Iran. C’est un pays qui est menacé par toute une série de phénomènes qui tendent à s’accroître. Il y a déjà l’élévation des températures qui fait que le pays est confronté à des périodes de sécheresse de plus en plus importantes, de plus en plus dures. Le cycle des sécheresses se raccourcit. On avait d’habitude d’un écart de dix ans entre les différents cycles. On voit maintenant que ces cycles se rapprochent dans une temporalité de trois ou quatre ans. Ces différentes tensions s’accumulent à d’autres : des tempêtes de poussière de plus en plus importantes, une réduction des nappes phréatiques. Le pays fait donc de plus en plus face à un stress environnemental et climatique. Cela produit toute une série de tensions, aussi bien du point de vue social, économique que politique.
Quelles tensions cela provoque-t-il ?
Le manque de politique publique aggrave et renforce l’impact des conséquences climatiques et environnementales. On est dans une politique, héritée de l’époque impériale, qui est celle d’une poussée de modernité, mais aussi d’autonomie, de puissance, qui doit se manifester par une autonomie alimentaire et aussi par une production d’énergie dans le but de faire en sorte que l’Iran ne dépende de personne. C’est d’ailleurs une politique qui a été poursuivie dans les années 1990 par le régime en place aujourd’hui en Iran, puisque l’idée était d’échapper à toute contrainte extérieure exercée par des ennemis du pays.
On voit, par exemple, que l’Iran veut poursuivre une souveraineté alimentaire. Il s’est mis à produire toute une série de ressources de base, comme le riz et les pastèques, qui sont très gourmandes en eau. Cette production est réalisée dans des endroits qui parfois sont dépourvus des ressources en eau adéquates. Il y a donc une volonté de productivisme effréné du régime politique pour asseoir sa puissance.
À cela, il faut ajouter toute une série de politiques qui ont des effets désastreux comme la construction de grands barrages. Et cela s’inscrit dans un système qui est profondément corrompu, ce qui fait que la gouvernance des ressources n’est pas bien exercée. Donc, on se retrouve dans la situation où aujourd’hui de nombreux agriculteurs en Iran n’ont plus un accès correct à l’eau parce que les nappes phréatiques sont épuisées, parce que l’État ne peut pas lutter contre la corruption, parce qu’il y a également de plus en plus de captages illégaux, parce qu’il y a aussi des concurrences entre les différents agriculteurs, voire avec l’industrie. Alors, cela commence à déclencher des protestations environnementales, comme celles qui sont apparues il y a deux ans dans le Khouseztan et dans la région d’Ispahan.
Les défenseurs de l’environnement ont-ils des marges de manœuvre pour exprimer leur inquiétude ?
Les contestations environnementales font l’objet de répression, mais à différents niveaux. À partir du moment où vous ne contestez pas les politiques du régime, vous n’êtes pas poursuivi de la même manière. On a vu notamment que des manifestations à Ispahan, qui étaient soutenus par des syndicats, ont été autorisées par le pouvoir en place, tandis que celles qui étaient menées dans le Khouzestan à peu près à la même période [en 2021, Ndlr] et qui étaient organisées par des ONGet par des militants environnementaux, ont été durement réprimées. Et, comme la plupart des autres militants, les militants environnementaux font l’objet de brutalisation, d’emprisonnement arbitraire. On a même l’exemple de certains militants environnementaux qui sont morts dans des circonstances suspectes en prison.
Ils viennent contester le pouvoir qui est occupé dans les politiques environnementales par certains acteurs incontournables comme les gardiens de la révolution qui, en plus d’être un pouvoir paramilitaire, sont un grand pouvoir économique.Ce sont eux notamment qui construisent les grands barrages hydrauliques. On voit par exemple que certains groupements écologistes demandent qu’il y ait une décentralisation dans la prise de décision, qu’il y ait entre autres des assemblées de citoyens pour les prises de décision sur l’eau. Tout cela est vu par le régime comme un danger parce que c’est une remise en cause de la manière dont le pouvoir s’exerce.
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L’environnement est-il un enjeu pris en compte par le régime lui-même ?
Durant les manifestations environnementales qui ont récemment éclaté en Iran, on a vu que toute une série de prises de position a été faite par le régime en place, notamment des élus locaux, mais également du guide suprême Khamenei, qui insistait sur la nécessité d’avoir des réponses par rapport aux sécheresses et à leurs impacts. Cela dit, c’est très peu suivi d’effets.
On peut aussi mentionner la position du régime iranien par rapport aux accords de Paris qui ont été conclus en 2015. Le régime iranien affirmait que tant que les embargos contre l’Iran n’étaient pas levés, il n’était pas en position de pouvoir mener différentes politiques d’adaptation. Il y a bien certains projets qui sont entrepris autour de certains lacs, notamment dans le nord du pays, pour essayer d’aboutir à un développement durable respectueux des ressources. Mais on voit que les politiques macros restent encore fondées sur des politiques extractivistes. Donc il n’y a pas vraiment de volonté d’essayer de changer des choses. Il y a aussi une croyance que la technologie pourra sauver le pays, que c’est en construisant plus de barrages que l’Iran parviendra à s’en sortir. La politique reste très attentiste.
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