Au Sénégal, le camp présidentiel pris de court par la décision du Conseil constitutionnel

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Au Sénégal, la nuit a été courte pour les cadres de l’Alliance pour la République (APR), le parti du président Macky Sall. Après avoir soutenu la loi entérinant le report de l’élection prévue le 25 février, la formation au pouvoir vient d’être sèchement taclée par le Conseil constitutionnel. L’instance a décrété « contraire à la Constitution » le maintien du chef de l’Etat au-delà du terme de son mandat. Une décision tombée tard dans la soirée et qui a surpris le camp présidentiel.

Car malgré les nombreux recours déposés par l’opposition, les ténors de l’APR affichaient depuis le vote une certaine assurance quant à la viabilité juridique de leur projet de report. « Si l’on se fie à ses décisions précédentes, il y a peu de chances que le Conseil constitutionnel se déclare compétent pour statuer sur une loi de la sorte », assurait au Monde, le 9 février, Abdou Mbow, chef de la mouvance présidentielle Benno Bokk Yakaar à l’Assemblée. Avant de préciser, plus prudent : « Si le Conseil prenait une décision contraire, bien sûr nous la suivrions. »

Au fil des jours, l’option d’une invalidation de la loi par les juges s’est peu à peu dégagée. Mercredi 14 février, lors du secrétariat exécutif de l’APR présidé par Macky Sall, ce cas de figure défavorable a été directement évoqué. « Nous avons travaillé sur les deux scénarios. Puis nous avons dit au président que peu importe la décision du Conseil, il devra continuer de mener un dialogue pour parvenir à une élection apaisée », confie un cadre de l’APR.

« Ce n’est pas un désaveu »

Pour autant, la majorité refuse d’y voir un camouflet pour le président Sall. C’est pourtant lui qui avait décidé, le 3 février, à quarante-huit heures du début officiel de la campagne électorale, de suspendre brutalement le processus au prétexte d’allégations de corruption au sein du Conseil constitutionnel. Une affaire dans laquelle sont cités deux juges et le premier ministre et candidat du pouvoir, Amadou Ba.

« Ce n’est pas un désaveu pour le président, veut croire Doudou Ka, ministre de l’économie et vieux compagnon de route du chef d’Etat. C’est la loi qui fixait le scrutin au 15 décembre qui a été annulée. Le report, nécessaire au vu des nombreux dysfonctionnements constatés dans le processus électoral, a désormais une base juridique. Ce qui n’est pas une défaite. »

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel « invite les autorités compétentes à tenir l’élection dans les meilleurs délais ». Les sages s’opposent au maintien du président à la tête du pays au-delà de la fin de son mandat, le 2 avril. Ce dernier va-t-il se plier à cette instruction ? Dans une interview accordée à Associated Press le 10 février, Macky Sall avait entretenu l’ambiguïté sur ce qu’il ferait en cas d’invalidation du report : « Lorsque la décision sera prise, je pourrai dire ce que je ferai. »

Mais pour son entourage, le chef de l’Etat se soumettra à la loi. « Le président s’estimait dans son bon droit en abrogeant le décret de convocation du corps électoral, mais les juges ont dit la loi. Leur décision s’impose à tous, aucun recours n’est possible, même pour lui, glisse un de ses proches. Cet acte démontre que notre système institutionnel est plus fort que les hommes et que nous ne sommes pas une sous-démocratie. Notre administration va s’honorer en organisant rapidement une élection. »

La majorité affirme que le chef de l’Etat souhaitait un rapprochement de la date du scrutin. « La date du 15 décembre prévue par la loi n’était pas un tabou pour le président. Il était partant pour qu’on l’avance. Pour lui, ce point faisait partie des questions cruciales à traiter lors du dialogue national. Aujourd’hui la priorité, c’est que le ministère de l’intérieur et l’opposition se concertent rapidement pour trouver une date d’élection consensuelle », explique Doudou Ka.

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Le ministre fixe au 2 juillet la date butoir pour organiser le scrutin. « Le mandat du président s’achevant le 2 avril, si une élection n’est pas organisée entre-temps, la Constitution impose au président de l’Assemblée d’assurer l’intérim pour trois mois. Dans ce délai, il devra organiser l’élection », poursuit-il.

Menaces de démissions

Cet avis tranché des juges peut-il bousculer les médiations en cours ? Alors que plusieurs détenus politiques ont retrouvé la liberté ces dernières heures dans le cadre de médiations intenses, la question se pose de la poursuite des négociations. La libération d’Ousmane Sonko, le leader de l’ex-Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), et de son candidat, Bassirou Diomaye Faye, était jusque-là au cœur des tractations. L’objectif étant, selon l’architecte et négociateur Pierre Goudiaby Atepa, de leur permettre « de participer au scrutin s’il se tenait d’ici deux ou trois mois ».

Etape cruciale dans la crise que traverse le pays depuis le 3 février, ce rapprochement entre le président et son plus farouche opposant a suscité de vives réactions au sein du parti présidentiel. Outrés par ce desserrement inattendu, plusieurs ministres auraient menacé de démissionner.

La majorité semble prise de court par la décision du Conseil constitutionnel. Car au sein d’une formation peu soutenante envers son candidat, Amadou Ba, une frange des cadres voyaient dans le report au 15 décembre la possibilité de trouver un nouveau compétiteur. Mais le raccourcissement du délai rebat les cartes. « Il est trop tard pour organiser un nouveau congrès de désignation d’un candidat. Manifestement, Amadou Ba reste notre candidat. La seule chose qui nous reste, c’est de faire bloc autour de lui. Nous réglerons nos comptes après notre victoire », prévient un responsable gouvernemental.

Source du contenu: www.lemonde.fr

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