Quatre jours à peine après le décès en détention de l’opposant russe Alexeï Navalny, l’ombre du Kremlin plane à nouveau sur la mort d’un transfuge de l’armée russe, passé cet été du côté ukrainien au terme d’une opération qui a fait la fierté des forces spéciales et dont l’invraisemblable itinéraire se serait achevé en Espagne.
Selon des sources proches de la Guardia civil, citées mardi par El Pais, le corps retrouvé criblé de balles la semaine dernière près d’Alicante est bien celui de Maxime Kouzminov, pilote d’hélicoptère russe qui avait fait défection six mois plus tôt. Le jeune homme, qui était âgé de 28 ans, a pu être identifié à l’aide de ses empreintes digitales, précise le quotidien.
Six jours plus tôt, le quotidien régional Informacion, citant la Guardia civil, annonçait qu’un homme avait été tué d’une demi-douzaine de balles dans la poitrine à Villajoyosa, village de pêcheurs de la Costa Blanca, en évoquant la piste d’un règlement de comptes. Les papiers retrouvés sur sa dépouille désignaient un « citoyen ukrainien » de 33 ans. « Lors de l’enquête, il s’est avéré que l’identité qu’utilisait cette personne pourrait être fausse », a dit une porte-parole du ministère de l’intérieur espagnol à l’Agence France-Presse, mardi.
Confirmation des renseignements ukrainiens
Le corps a été découvert dans le parking souterrain du lotissement où il vivait, comme bon nombre d’expatriés, notamment ukrainiens, russes et bulgares. Toujours selon Informacion, ses deux assassins ont pris la fuite dans une voiture retrouvée calcinée à une vingtaine de kilomètres.
Andri Ioussov, porte-parole de la direction générale du renseignement militaire ukrainien (GUR), avait déjà confirmé la mort du pilote au Kyiv Post, lundi, et à la télévision publique, sans en préciser ni le lieu ni les circonstances. Un membre anonyme des services de renseignement ukrainiens a précisé ensuite à l’Ukrainskaïa Pravda que Maxime Kouzminov avait décidé de s’installer en Espagne. « D’après ce qu’on sait, il avait invité son ex chez lui et a été retrouvé tué par balles », ajoutait-il.
« Ce traître et criminel était déjà devenu un cadavre en puissance au moment où il planifiait son sale et terrible crime », a commenté mardi Sergueï Narychkine, directeur des services de renseignement extérieurs (SVR) russes, sans évoquer une quelconque responsabilité de Moscou. Pour épaissir un peu plus le mystère, d’autres, toujours côté russe, laissent entendre que le pilote est bien vivant et que sa mort a été mise en scène pour garantir sa sécurité.
« Ne vous réjouissez pas trop vite. Le GUR consolide ainsi la désinformation du TsIPsO [Centre d’information et d’opérations psychologiques des forces ukrainiennes], écrivait lundi Vladimir Rogov, membre de l’administration de la partie occupée par les forces russes de l’oblast de Zaporijia, sur Telegram. Ils l’ont fait pour doter le traître d’une nouvelle biographie avec une ardoise propre et un nouveau nom. »
Opération Mésange
D’après le récit qu’il a lui-même livré devant les caméras de télévision, quelques semaines après sa défection, Maxime Kouzminov, membre du 319e régiment d’hélicoptères de l’aviation russe, dit avoir profité le 9 août d’une mission de transport au départ de la base aérienne de Koursk pour prendre la fuite aux commandes de son hélicoptère MI-8 et gagner la région de Kharkiv, où l’attendaient des membres du GUR.
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« La vérité est qu’il n’y a ni fascistes ni nazis ici et je suis vraiment peiné par ce qui se passe actuellement… Les meurtres, les larmes, le sang (…) Je ne veux pas être complice des crimes russes », a-t-il expliqué le 5 septembre à la presse ukrainienne, en présence de général Kyrylo Boudanov, chef du GUR. Six mois plus tôt, précisait-il, il avait contacté des membres des services de renseignement ukrainiens pour exposer ses intentions. « On m’a proposé cette option, des garanties de sécurité, de nouveaux documents d’identité et une compensation financière » d’un demi-million de dollars (462 000 euros), a précisé le pilote, assurant ne pas avoir fait défection pour de l’argent.
Dans un documentaire à grand spectacle diffusé au même moment, les services spéciaux ukrainiens disaient, eux, avoir passé des mois à préparer l’opération, baptisée Mésange, notamment pour faire sortir ses proches de Russie et sécuriser l’itinéraire, ce qui n’a pas empêché les tirs. « Je ne peux pas dire avec certitude d’où ils provenaient, mais je suppose que c’était du côté russe, a raconté le pilote. Je me suis rendu compte que j’étais près de la frontière, j’ai partagé ma position [avec les services spéciaux ukrainiens]. J’ai dit : “Essayons, je ne suis pas loin”. J’ai volé à une altitude extrêmement basse en mode silence radio (…) et j’ai atterri. »
A ses côtés se trouvaient deux autres membres d’équipage qu’il dit avoir essayé en vain de convaincre de le suivre dans sa fuite. « Ils ont pris peur, ont commencé à se comporter de manière agressive et se sont finalement précipités hors de l’hélicoptère, en direction de la frontière », a-t-il poursuivi. Selon les services de renseignement ukrainiens, ils ont choisi « de ne pas se rendre et ont perdu la vie après l’atterrissage ».
L’affaire avait également fait grand bruit en Russie. Dans une émission diffusée début octobre par la chaîne Rossiya 1, le journaliste Sergueï Zénine affirmait que le GRU avait reçu l’ordre d’éliminer Maxime Kouzminov et l’accusait en outre d’avoir lui-même exécuté les deux autres membres d’équipage.
Outre la défection du pilote, la saisie de son hélicoptère et des pièces de chasseurs Soukhoï Su-27 et Su-30 SM qu’il transportait, le GUR dit avoir acquis de précieux renseignements et compare même l’opération à celle qui a permis au Mossad de s’emparer en 1966 d’un MiG-21, fleuron de l’aviation soviétique d’alors.
Source du contenu: www.lemonde.fr