Son corps donne encore quelques signes, presque imperceptibles, de l’épreuve que furent vingt-huit mois de captivité. On sent une fragilité dans certains mouvements. Trois fois rien, en comparaison d’hommes revenant brisés par la torture, certains enfermés dans le silence et les cauchemars, meurtris à jamais. Le plus frappant, en apparence, avec Maksym Boutkevytch, est au contraire la vivacité de l’esprit, et une sorte de force tranquille.
Militant ukrainien pacifiste et antimilitariste, engagé dans la défense des droits humains, des réfugiés et des migrants, Maksym Boutkevytch a rejoint, dès l’invasion russe, une unité de volontaires de Kiev, le 210e bataillon spécial « Berlingo ». Après l’échec des forces russes à Kiev, le 210e est envoyé dans le Donbass. Le lieutenant Boutkevytch, « Moses » (Moïse) de son nom de guerre, et huit hommes de son peloton sont capturés, le 18 juin 2022, près de Lyssytchansk.
En voie d’être encerclés sur un poste d’observation, ils étaient en train de se replier vers l’arrière, guidés par radio par l’éclaireur qui les avait amenés la veille. Soudain, alors qu’ils courent à travers champ, l’éclaireur leur intime l’ordre de s’arrêter et leur révèle qu’il a été capturé par l’armée russe. Il les a, sous la menace d’une exécution, attirés dans un piège. Encerclés, dans la ligne de mire de dizaines de soldats russes, ils rendent les armes.
Menaces de viol et de torture
Depuis leur libération, le 18 octobre, et la révélation de détails de leur histoire, des commentateurs s’enflamment sur les réseaux sociaux ukrainiens pour dénoncer une « trahison » de l’éclaireur, les plus sévères étant, comme souvent, des guerriers de salon n’ayant jamais connu l’épreuve du feu. « C’est la guerre… Je n’en veux pas du tout à cet éclaireur, un type bien que j’ai revu en prison, précise Maksym Boutkevytch. Et, en nous attirant dans ce piège, il a non seulement sauvé sa vie, mais peut-être aussi la nôtre. » Sans contact radio, dans une région qu’ils ne connaissaient pas, les combattants seraient très probablement tombés dans une embuscade, sans offre de reddition.
Une fois captif, Maksym Boutkevytch découvre le jeu pervers des officiers chargés des interrogatoires, les menaces de viol et de torture, les tentatives de recueillir des aveux, les documents qu’il faut signer pour respecter d’obscures règles bureaucratiques, jusqu’à l’absurde.
Détenu dans la province occupée de Louhansk, annexée par la Russie en septembre 2022, il est d’abord un prisonnier de guerre, comme tous les combattants ukrainiens, puis, après une condamnation, en mars 2023, à treize ans de prison, par un tribunal, pour un « crime de guerre » supposément commis à Sievierodonetsk, où il n’était pas à l’époque, il est incarcéré avec des criminels de droit commun. La seule constante est la visite régulière d’hommes cagoulés qui ne peuvent qu’appartenir aux services de renseignement russes.
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