Histoire d’une notion. Dans son discours d’adieu, le 15 janvier, Joe Biden a lâché le mot : « Aujourd’hui, une oligarchie prend forme en Amérique, avec une richesse, un pouvoir et une influence extrêmes, qui menacent littéralement notre démocratie. » Les requêtes sur Google en vue de comprendre ce que signifiait « oligarchie » ont alors grimpé en flèche. Le concept était jusque-là confiné aux milieux académiques ou militants (de gauche), qui l’appliquaient au capitalisme contemporain. Avec Joe Biden, il est devenu mainstream. Il est vrai que le spectacle donné par Donald Trump et sa bande de milliardaires (Elon Musk, Peter Thiel, Jeff Bezos, Vivek Ramaswamy et bien d’autres…) a rendu le phénomène palpable.
Le mot n’est pas né d’hier. Platon (v. 428-v. 348 av. J.-C.) et Aristote (384-322 av. J.-C.) dissertaient déjà sur l’oligarkhiae, littéralement l’exercice du pouvoir (arkhô) par le petit nombre (oligos). Dans La Politique, Aristote avait dressé une typologie de six gouvernements. Au service du bien commun, trois étaient légitimes : monarchie, aristocratie, république. Trois autres étaient leurs équivalents corrompus : tyrannie, oligarchie, démocratie. Avec le temps, la démocratie a perdu son caractère péjoratif, mais l’oligarchie, elle, l’a gardé intact. Et son sens n’a guère changé depuis le IVe siècle avant J.-C. : une oligarchie est un régime dans lequel la souveraineté est exercée par un petit groupe de citoyens privilégiés agissant dans leur propre intérêt.
Au cours du XXe siècle, nombre de commentateurs ont dénoncé l’« oligarchie financière » (avec parfois des arrière-pensées antisémites). Mais le sociologue germano-italien Robert Michels (1876-1936), un socialiste qui tournera fasciste, détache le mot « oligarchie » de l’idée de richesse pour en étendre le sens. Il définit la « loi d’airain de l’oligarchie », selon laquelle toute organisation a tendance à sécréter une élite dominatrice.
Vers la fin du XXe siècle, le mot est surtout utilisé par la presse pour désigner les puissantes familles des régimes latino-américains ou asiatiques. Après l’effondrement de l’URSS et jusque dans les années 2000, le terme « oligarques » se diffuse largement : il désigne les nouveaux magnats russes enrichis par les privatisations. Le mot renvoie alors à l’idée de richesse, mais aussi de corruption. A cette époque, les milliardaires occidentaux cherchant à influencer la politique dans leur pays échappent encore à ce qualificatif – ce sont des « donateurs ».
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