Les critiques montent contre le déploiement de soldats sud-africains dans l’est de la République démocratique du Congo

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Difficile d’imaginer pire entrée en matière. Deux jours seulement après l’annonce officielle du déploiement d’un contingent de 2 900 hommes dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), l’armée sud-africaine a perdu deux soldats, tués dans l’attaque au mortier de l’une de ses bases, mercredi 14 février. Des pertes attendues, siffle l’opposition, qui dénonce le déploiement d’une armée sous-équipée sur un théâtre complexe où beaucoup d’autres se sont cassé les dents avant elle.

Si le gouvernement a tardé à officialiser leur mission, les forces sud-africaines déployées dans le cadre d’un mandat offensif de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) sont présentes en RDC depuis mi-décembre 2023, à la demande de Kinshasa, afin d’épauler les forces armées congolaises (FARDC) dans leur lutte contre le Mouvement du 23 mars (M23), un groupe rebelle qui a relancé une offensive début février. Selon des rapports du groupe d’experts des Nations unies, il est activement soutenu par le Rwanda voisin.

La force d’Afrique australe succède à une force de la communauté d’Afrique de l’Est (EAC), priée par le gouvernement congolais de plier bagage un an à peine après son déploiement en novembre 2022. La force de maintien de la paix des Nations unies (Monusco) s’apprête également à se retirer sans résultat tangible après vingt-cinq ans de présence dans une région déstabilisée par une myriade de groupes armés. Impopulaires, elles étaient considérées par les autorités du Kinshasa comme trop passives.

Dégradation de l’état des forces de défense

Principale composante de la mission de la SADC, l’armée sud-africaine a-t-elle une chance de réussir là où tant d’autres ont échoué ? Impensable, estime le député Kobus Marais, spécialiste des questions de défense pour l’Alliance démocratique, le principal parti d’opposition sud-africain, qui alerte depuis longtemps sur la dégradation de l’état des forces de défense de son pays dont il juge qu’elles « n’ont pas la capacité de mener efficacement une campagne de contre-insurrection contre les rebelles du M23 ».

« Notre armée ne peut même pas planter des choux », a également résumé, à sa façon, le trublion de gauche radicale, Julius Malema, reprochant au président Cyril Ramaphosa d’envoyer les soldats à la mort. Un constat globalement partagé par les spécialistes qui soulignent le décalage croissant entre les missions de l’armée sud-africaine et son financement. Déjà présents en RDC au sein de la Monusco, les militaires sud-africains sont également déployés aux côtés de l’armée mozambicaine confrontée à des violences djihadistes dans le nord-est du pays. Ils sont par ailleurs sollicités sur le territoire national pour contrôler les frontières passoires, défendre les centrales électriques contre le sabotage ou encore lutter contre l’exploitation illégale des mines.

« Les autorités leur demandent d’être partout sans que les financements suivent », constate Theo Neethling, professeur de science politique à l’Université du Free State et familier des questions de défense. Alors que ses missions s’étendent, le budget de l’armée sud-africaine est réduit à peau de chagrin. Il a encore diminué de 500 millions de rands (environ 25 millions d’euros) en 2023. « Le budget des forces de défense sud-africaines représente moins de 1 % du PIB, c’est totalement sous-financé en comparaison de ce qui se fait dans le monde en moyenne », poursuit le professeur.

L’armée sud-africaine, l’ombre d’elle-même

Conséquence : l’armée sud-africaine dépérit. Celle qui passait pour l’une des plus puissantes – sinon la plus puissante – du continent il y a quarante ans n’est plus que l’ombre d’elle-même. En mai 2023, la ministre de la défense en personne, Thandi Modise, évoquait la nécessité de « sauver les forces de défense sud-africaines » devant le Parlement. Sur le papier, l’armée possède encore un équipement respectable, « mais beaucoup d’appareils ne sont pas utilisables pour une raison ou une autre », explique Theo Neethling.

Dans le contexte congolais, la plus inquiétante de ces lacunes est à chercher du côté de la flotte aérienne. Sur les 39 hélicoptères de transport Oryx dont dispose l’Afrique du Sud, seuls cinq étaient en état de fonctionnement en octobre dernier. « Soyons honnêtes, c’est choquant. Et bien sûr, il n’y a pas d’argent pour maintenir les Rooivalks en état donc nous n’avons pas d’hélicoptères d’attaque. On ne peut pas mener une contre-insurrection sans moyens aériens appropriés », détaille Piers Pigou, responsable du programme Afrique australe au sein de l’Institut d’études de sécurité (ISS), un think tank africain.

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Il voit dans l’attaque de la base sud-africaine, mercredi en RDC, un témoignage de la vulnérabilité des troupes face à une rébellion autrement mieux préparée que celle des djihadistes au Mozambique, que l’armée sud-africaine peine déjà à contenir. « Les rebelles mozambicains sont une troupe faite de bric et de broc, ils ont peut-être récupéré des mortiers et d’autres armes, mais ils ne savent pas s’en servir. Le M23, c’est une autre histoire. Il a un arsenal plutôt sophistiqué et il est bien entraîné. »

Dans un document confidentiel révélé par l’AFP, le 12 février, l’ONU écrit ainsi qu’un de ses drones d’observation a récemment été visé par un missile sol-air « présumé appartenir aux forces de défense rwandaise », tiré depuis une zone contrôlée par le M23. « Si le M23 décide de lancer une attaque sérieuse sur nos bases, il pourrait y avoir de lourdes pertes », alerte ainsi Piers Pigou, qui déplore le déploiement d’une « contre-insurrection au rabais ».

Depuis la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud se fait un devoir de prendre part aux missions de maintien de la paix sur le continent. Mais après trente ans de sous-investissement chronique, en a-t-elle seulement les moyens ? « On parle encore comme si nous avions le double de la capacité que nous avons en réalité. Soit on reconfigure les déploiements à l’étranger en reconsidérant ce qu’on peut effectivement y apporter, soit on investit significativement dans les services de sécurité », résume le responsable de l’Institut d’études de sécurité.

Source du contenu: www.lemonde.fr

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