Niger : un an après le coup d’Etat, comment le général Tiani est parvenu à asseoir son pouvoir

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Les putschistes nigériens avaient annoncé la couleur. Dès le 6 août 2023, dans un stade comble de Niamey, le général Mohamed Toumba, l’un des leaders du coup d’Etat qui, onze jours plus tôt, avait renversé le président Mohamed Bazoum, promettait que « la transition ne reculera[it] pas ».

Il ne restait alors que quelques heures avant l’expiration de l’ultimatum envoyé par les chefs d’Etat voisins. Pour obtenir la libération de leur pair, détenu avec sa femme et son fils, les dirigeants des pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) se disaient prêts à frapper le palais présidentiel où ils étaient séquestrés. Mais face à la menace d’intervention armée – qui ne s’est jamais concrétisée –, le régime commandé par le général Abdourahamane Tiani n’a pas flanché.

Un an plus tard, la stratégie jusqu’au-boutiste de l’ancien chef de la garde présidentielle – tombeur, le 26 juillet 2023, de celui qu’il était censé protéger – a payé. Le général de 60 ans, président autoproclamé, a installé son pouvoir. Derrière les hauts murs blancs du palais, le chef d’Etat déchu, qui refuse de signer sa démission, reste son prisonnier. Et pour exclure définitivement du jeu politique celui qui avait été élu en 2021 après des décennies d’engagement, la junte a fait lever par la justice son immunité présidentielle, mi-juin, ouvrant la voie à un procès pour « crime de trahison ». Mohamed Bazoum encourrait alors la peine de mort.

Renversement de l’échiquier diplomatique

Européens, Américains, Ouest-Africains… Pour légitimer son pouvoir, le général Tiani a repoussé tous les soutiens diplomatiques du président déchu.

A commencer par la France, qui avait envisagé, au lendemain du coup d’Etat, une opération militaire pour libérer celui qui apparaissait alors comme son allié le plus sûr au Sahel. La résistance diplomatique de Paris, entre août et octobre 2023, pour tenter de maintenir son ambassadeur, Sylvain Itté, et ses quelque 1 500 soldats a été vaine. Fin septembre, Emmanuel Macron avait dû se résoudre à annoncer le départ du diplomate et des militaires. La junte est également restée imperméable aux tentatives des Etats-Unis de maintenir leurs 1 100 soldats déployés entre Niamey et Agadez.

Comme après l’arrivée au pouvoir des juntes au Mali et au Burkina Faso, Moscou a été le premier bénéficiaire du changement de régime au Niger. Les paramilitaires russes de l’Africa Corps (ex-Wagner) ont débarqué à Niamey le 10 avril. Les soldats américains, eux, devraient avoir achevé leur retrait début août, selon les dernières précisions du Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (Africom). Les deux missions de coopération sécuritaire de l’Union européenne (UE) avaient déjà été chassées en décembre 2023 et l’Allemagne a annoncé début juillet le retrait de sa quarantaine de soldats.

Tenant d’une ligne nationaliste, le général Tiani s’est aussi dressé contre la Cedeao et ses sanctions jugées « illégales et inhumaines », décrétées fin juillet 2023 dans l’espoir d’obtenir un retour à l’ordre constitutionnel. La pression n’a pas davantage fonctionné et le Niger a annoncé en janvier sa volonté de quitter l’organisation régionale, aux côtés du Burkina Faso et du Mali, pour rejoindre l’Alliance des Etats du Sahel (AES), créée en septembre. Dans ce renversement de l’échiquier diplomatique, Niamey s’est aussi tourné vers l’Iran et la Turquie.

Une logique de « confiscation du pouvoir »

Si le général Tiani s’est fabriqué une légitimité à l’international pour se maintenir au pouvoir, il a aussi œuvré localement pour maintenir la transition dans un cadre flou.

Dans un manifeste publié en février, le chef putschiste a annoncé l’élaboration d’un nouveau code électoral et d’une nouvelle Constitution, suivie d’« élections libres, transparentes, indépendantes ». Aucune échéance n’a cependant été donnée. La période de transition « ne saurait aller au-delà de trois ans », avait promis le général, quelques jours après son putsch, sur les antennes de la télévision nationale, précisant que sa durée serait déterminée à l’issue d’un dialogue national inclusif. Onze mois sont passés depuis et la consultation populaire attend toujours.

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« Le régime est clairement dans une logique de confiscation du pouvoir. A la différence du Mali et du Burkina, il ne s’encombre même pas des artifices d’un processus transitoire inclusif », analyse Ornella Moderan, chercheuse associée à l’Institut Clingendael, basé aux Pays-Bas.

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Au Niger, rares sont ceux qui osent s’en offusquer, car la junte s’est employée à étouffer les voix discordantes. La diffusion de France 24 et Radio France internationale (RFI), très suivies dans le pays, a été suspendue et des journalistes nigériens jugés trop critiques ont été menacés, parfois emprisonnés. Plusieurs institutions qui maintenaient l’Etat de droit ont été supprimées, comme la Cour de cassation, le Conseil d’Etat, la Cour des comptes, la Commission nationale des droits de l’homme et le médiateur de la République.

Les activités des partis politiques ont été suspendues et plus d’une trentaine de détentions arbitraires ont été recensées par Amnesty International. « Votre conception de la démocratie ne nous a pas servis. On veut en sortir pour trouver un mode de gouvernance africain », justifie un conseiller du gouvernement.

Des écueils sécuritaires et économiques

En juillet 2023, les putschistes étaient applaudis dans les rues de Niamey, bastion historique de l’opposition à l’ancien pouvoir. Ils doivent aujourd’hui faire face à des résistances qui pourraient les faire chanceler. Plusieurs sources sécuritaires nigériennes rapportent que des officiers nourrissent de la rancœur contre le général Tiani, nommé en 2011 par l’ancien président Mahamadou Issoufou (2011-2021) à la tête de la garde présidentielle, l’unité la mieux lotie du pays, et responsable de l’arrestation de militaires jugés hostiles au régime.

Ses promesses ambitieuses – et pour certaines paradoxales – pourraient aussi lui jouer des tours. Lui qui a justifié son coup d’Etat par sa volonté de contrer « la dégradation continue de la situation sécuritaire » sous la présidence de Mohamed Bazoum n’a pas fait mieux. Bien au contraire. Selon l’ONG Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled), près de 1 700 personnes ont été tuées depuis le coup d’Etat, soit une augmentation de 108 % par rapport à l’année précédente. Jamais les violences djihadistes n’avaient fait autant de morts.

Dans le même temps, dans le nord du pays, des attaques sporadiques sont perpétrées depuis le printemps par deux nouveaux groupes politico-militaires qui réclament le retour à l’ordre constitutionnel, avec pour cible principale le pipeline destiné à exporter le brut nigérien vers le Bénin.

Le régime militaire serait-il menacé ? Sur le plan économique, il a pour l’heure réussi à tenir tant bien que mal les cordons de la bourse. Le budget de l’Etat a été réduit de 40 % et un Fonds de solidarité pour la sauvegarde de la patrie a été créé. L’accord pour la reprise d’un financement de 70 millions de dollars (environ 64,5 millions d’euros) avec le Fonds monétaire international (FMI), début juin, et l’avance de 400 millions de dollars sur les ventes de brut obtenue en avril auprès de la Chine, qui exploite le pipeline Niger-Bénin, ont aussi donné une bouffée d’air au régime.

Mais depuis, la junte est engluée dans une brouille diplomatique avec son voisin méridional et bloque l’exportation de l’or noir en refusant d’ouvrir leur frontière commune. En dépit de la crise financière dans laquelle le pays est plongé, le régime se coupe ainsi d’une manne colossale, évaluée à 13,6 milliards de dollars par la Banque mondiale.

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