A Paris, les perles sortent du rang

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Un mouton vous fixe de ses yeux bleus translucides. Il ferait presque peur, si son air sévère n’était contredit par son invraisemblable « moumoute » de perles autour de la tête, un amas de minuscules billes nacrées rangées par ordre de taille sur des fils d’or enchevêtrés. Il s’agit d’une broche conçue par le joaillier JAR en 2006, issue d’une collection privée, et prêtée pour l’exposition « Paris, capitale de la perle » à l’Ecole des arts joailliers, sur les Grands Boulevards, à Paris.

Ce lieu polyvalent, qui fait office à la fois d’école, de bibliothèque, de librairie et de musée, a été inauguré par le joaillier Van Cleef & Arpels, en juin, dans l’hôtel particulier de Mercy-Argenteau. Après s’être consacrée aux bijoux de scène de la Comédie-Française plus tôt dans l’année, l’institution réserve ses espaces d’exposition à la perle et à ses liens avec Paris. Une bonne idée, car la perle est souvent associée à un univers bourgeois et passéiste, alors qu’elle peut servir de matière première à des idées délurées, comme l’illustre la tête de mouton.

L’exposition, qui s’adresse au grand public, veille à rester pédagogique. Elle commence par expliquer la différence entre les perles fines, formées naturellement par les huîtres, et les perles de culture, conçues avec une intervention humaine. La quasi-totalité des pièces exposées ici sont réalisées en perles fines, qui sont les plus précieuses, et sont devenues une denrée extrêmement rare. Avant de s’ébaudir devant des bijoux exceptionnels, le visiteur est invité à plonger sa main dans une vasque remplie de perles de culture pour en apprécier le contact et le bruit – sous l’œil d’un vigile, tout de même.

Henri Vever, devant de corsage, 1905 (perles du Mississippi, diamants, émail, or, argent).

Les créations les plus anciennes de cette exposition datent de 1880, quand les maisons joaillières parisiennes s’arrachaient déjà à des prix exorbitants ces trésors pêchés dans le golfe Persique. Leur provenance inspire aux joailliers de l’époque des bijoux à l’esthétique orientalisante, comme l’attestent un impressionnant collier en émail hérissé de grosses perles aux reflets violacés ou ce clip en or imitant un masque japonais, sur lequel une centaine de petites perles miment une foisonnante tignasse.

En pétales sur un corsage

Quand, dans les années 1900, les joailliers s’intéressent à des variétés plus baroques et se détournent des perles du Golfe, ils donnent naissance à des objets inattendus. Les perles du fleuve Mississippi, par exemple, ont la particularité d’être de forme allongée comme de fins boudins, et constituent à ce titre d’excellents pétales de chrysanthème sur un ornement de corsage fabriqué en 1900 par Henri Vever.

L’engouement pour la perle prend vraiment forme à la Belle Epoque, où elle devient même une pièce du vestiaire à part entière, ce que montrent bien les nombreuses illustrations colorées de George Barbier dans la Gazette du bon ton. En sautoir, brodées sur des bretelles ou sur les franges d’une robe, ou comme un motif sur une jupe, les perles sont partout et leurs prix s’envolent : en 1917, le petit-fils du fondateur de Cartier, Pierre Cartier, obtient un hôtel particulier sur la Ve Avenue à New York en échange d’un collier de deux rangs, de 65 et 73 perles.

Van Cleef & Arpels, petit nécessaire, vers 1925 (or jaune, perles, émail, diamants).

La « perlomanie » s’intensifie dans l’entre-deux-guerres, comme l’attestent deux curieux objets : un petit nécessaire de la taille d’une carte de visite couvert de perles (Van Cleef & Arpels, vers 1925) et un sac du soir, qui, de loin, semble tricoté mais s’avère composé de perles miniatures tissées très serré (Van Cleef & Arpels, 1924) – à vue de nez, il dispose de juste assez de place pour accueillir une feuille A4 pliée en deux.

Au milieu de ces belles incongruités, on croise aussi des bijoux d’une implacable sobriété, dont un clip de 1936 signé Maison Templier, composé d’une énorme perle en forme de goutte qui semble sur le point de s’échapper de son écrin diamanté. Les dernières vitrines, contemporaines, réservent encore leur lot de surprises : outre le mouton fou, on croise un gladiateur, des canards, un cactus, un pingouin, une patineuse… Les temps changent, les perles aussi.

« Paris, capitale de la perle », jusqu’au 1er juin 2025 à l’Ecole des arts joailliers – Hôtel de Mercy-Argenteau, 16 bis, boulevard Montmartre, Paris 9e. Gratuit sur réservation.

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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