Au Cyrano, à Paris, « les strates de pommes de terre de ce mille-feuille se font craquantes, avant de révéler un cœur fondant »

Qu’est-ce qui rassérène comme une purée, croustille comme une frite et pastiche une pâtisserie tricentenaire ? Le mille-feuille de pommes de terre du Cyrano. Né en 1914, ce banal bistrot de poche posé à deux pas de la place de Clichy s’est vu ressusciter à l’été 2022, sous la houlette de quatre amis. Mosaïques, zinc marbré, grands miroirs Art déco et peintures sous verre en hommage au Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand…

Quasi intact est le look de ce qui fut autrefois l’antichambre d’une maison close et un QG des surréalistes. Résolument plus moderne est en revanche l’assiette, servie à table ou au comptoir (pour environ 2 euros de moins) à l’heure du déjeuner et à choisir le soir et le week-end parmi un chapelet de jolis mets à partager.

Ce fameux mille-feuille de pommes de terre, la jeune cheffe Charleyne Valet le sert de presque autant de façons : alternativement flanqué de « crème de haddock et harissa, crème fouettée à l’huile d’olive et olives taggiasches, crème crue, œufs de truite et salicorne… », liste la cuisinière autodidacte, sacrée cheffe de l’année 2023 aux Trophées Pudlo des bistrots.

Des heures de travail minutieux

Un an et demi qu’elle a fait de sa marotte – la patate – l’un des plats signatures du lieu. Et si l’escorte fluctue, le socle demeure. Sous la dent, les strates de pommes de terre se font craquantes avant de révéler un cœur moelleux, fondant. Une prouesse qui n’est pas sans évoquer les attributs de son pendant sucré – feuilletage et crème pâtissière.

Sourire aux lèvres – une autre de ses signatures –, Charleyne Valet résume plusieurs heures de travail minutieux : « Il faut couper les pommes de terre le plus finement possible (2 millimètres environ) avant de monter les couches, de presser le tout puis de cuire. » Et de poursuivre : « Ne reste alors plus qu’à laisser reposer un bon moment et faire frire. »

Soucieuse de ne pas alanguir les papilles, la cheffe a pensé à tout. Ce soir-là, ce fut à l’iode apporté par la salicorne normande (Blainville) et aux œufs de truite de calmer le gras, et au filet d’huile de ciboulette de rafraîchir l’ensemble. Enfin, pour relever le goût noisetté de son tubercule préféré, l’intéressée compte sur l’acidité d’un lit de crème crue de La Ferme de la Vieille Abbaye (Barbery, Calvados). « J’ai voulu sophistiquer ce plat basique que j’adore : la pomme de terre au four, avec de la crème et des herbes fraîches », conclut-elle. Pourquoi faire simple quand on peut faire prodigieux ?