C’est l’histoire d’une rue : Oberkampf, du passé ouvrier au bric-à-brac animé

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Oberkampf, ce mot résonne d’emblée comme une énigme. Une bataille oubliée ? Un compositeur méconnu ? Christophe-Philippe Oberkampf (1738-1815), Français d’origine allemande, est le fondateur de la manufacture royale des toiles de Jouy. Baptisée ainsi en 1864, la longue artère parisienne − jusqu’alors rue de Ménilmontant – a gardé des traces de ses origines industrielles. Ici, dans les ateliers, on tannait les cuirs et les peaux, on travaillait le bois et, surtout, on fondait le métal.

Aujourd’hui, en s’enfonçant dans l’étroite cité Griset, au n° 125, on tombe sur une imposante fabrique en brique rouge vif qui rend presque joyeux le gris de l’hiver. L’impasse ouvrière a des faux airs de Brooklyn. Détenue par la famille Griset, une entreprise de métallurgie spécialisée dans le laminage de l’aluminium était installée là au XIXe siècle. Depuis, ce ne sont plus des machines à vapeur mais des presses typographiques que l’on aperçoit au rez-de-chaussée. L’Imprimerie du Marais y a pris ses quartiers en 2021. « Il perdure ici une mémoire artisanale qui nous inspire, tel un héritage dont nous nous devons de prendre soin », souligne Mélody Maby-Przedborski, directrice de la communication de cette imprimerie rutilante tout en bois et verre.

Plus bas, chez Fondeur, au n° 67, on retrouve là aussi un peu de l’esprit originel d’Oberkampf. Françoise Renner, ancienne patronne de cette quincaillerie industrielle qui a toujours pignon sur rue, confie, avec émotion, comment « depuis la fin du XIXe siècle, [sa] famille y a perpétué un savoir-faire, en inventant notamment la plieuse à zinc qui servait à façonner les toits des immeubles haussmanniens ».

Christophe Dagault dans sa boucherie du 94, rue Oberkampf (Paris 11e), le 17 février.

Restée à l’écart des circuits touristiques parisiens, la rue Oberkampf a été relativement peu étudiée. Trop ouvrière, trop populaire sûrement, elle est passée sous le radar des radioscopies urbaines. « Oberkampf est plus qu’une simple artère. C’est une rue-faubourg, une rue-quartier. Ici, on a toujours parlé d’Oberkampf au sens large, comme d’une communauté », rappelle Léa Panigel, une sociologue qui a longtemps habité villa Gaudelet, petite impasse voisine, et qui avait fait du quartier son sujet de maîtrise.

Oberkampf est pourtant bien une simple rue. En témoignent ses fins trottoirs qui sont loin d’avoir la largeur de ceux d’un boulevard. Si on lève la tête – à ses risques et périls, étant donné la fréquentation assidue des lieux –, le bâti bigarré saute aux yeux. Ici, rien ne semble en harmonie : les constructions éclectiques se succèdent et ne sont pas là pour reposer l’œil du passant. Le célèbre couple de sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot décrit avec justesse un « bric-à-brac architectural », une « urbanisation chaotique » (Paris, quinze promenades sociologiques, Payot, 2009). Alors que le Paris haussmannien affleure tout près, sur les avenues de la République et Parmentier, les boulevards Richard-Lenoir et Voltaire, Oberkampf a conservé sa singularité.

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Source du contenu: www.lemonde.fr

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